Dans un contexte de nouvelle mandature pour les maires de France et dans un climat où la transition écologique et solidaire de nos villes ne saurait plus attendre, le Salon des Maires et des Collectivités Locales en passe de se dérouler à la mi novembre attire l’attention la rédaction. Son objectif : faire se rencontrer entreprises, associations et collectivités pour penser les territoires ensemble et mettre en place des projets territoriaux inclusifs, résilients et bas carbone. A l’aube de ce rendez-vous, nous rencontrons Stéphanie Gay-Torrente, directrice du salon, pour parler des enjeux locaux et de l’importance de la multi-expertise sur ces questions.
En entreprise, chez les politiques et dans les luttes citoyenne, les voix portent un message à l’unisson : transition écologique, sociale et solidaire. Pour les élus locaux, le chantier est de taille : la ville. Comment opérer ? Quels formats, quelles collaborations et quels enjeux sont à prévoir ? En phase avec les grands enjeux de transitions des territoires et les attentes des habitants, le Salon des Maires et des Collectivités Locale (SMCL) se concentrera sur les enjeux de santé, de développement territorial, de transition environnementale, de mobilité ou encore d’économie circulaire. Sa promesse : porter « l’innovation territoriale au service des citoyens » en étendard pour cette nouvelle édition. A quelques semaines de l’événement, nous rencontrons Stéphanie Gay-Torrente qui endosse la nouvelle responsabilité de directrice.
The Good : Dans le contexte de nouvelles mandatures post-covid, quels sont les enjeux majeurs des collectivités locales ?
Stéphanie Gay-Torrente : Il va s’agir pour les collectivités de gérer l’urgence, le court-terme, tout en préservant la vision, l’engagement et la préparation de moyen-long terme sur le mandat. Mais la plus grande leçon de la crise actuelle n’est-elle pas que le meilleur moyen de se préserver des crises, c’est d’engager véritablement les grandes dynamiques de transition écologique, économique et sociale qui sont posées dans les principes et sur lesquelles nous pourrions changer d’échelle ?
Les collectivités locales sont les « ouvrières » de la transition écologique, sociale et solidaire car elles sont en charge de tout ce qui représente notre cadre de vie – gestion des déchets, gestion de l’eau, réseaux et systèmes énergétiques qui tendent d’ailleurs à se décentraliser, l’école, l’accompagnement des personnes des plus jeunes aux plus anciens aux plus fragiles … et la voirie, les infrastructures, l’aménagement, la sécurité … Chaque niveau de collectivité a des compétences particulières, souvent méconnues des habitants. C’est par ces compétences et les actions qu’elles engagent qu’elles ont cette capacité à toucher le quotidien, impacter les réalités de tous les jours et transformer nos bâtiments, nos rues, nos quartiers …
The Good : Avez-vous des exemples d’attentes citoyennes à l’égard des villes (retour d’enquêtes, chiffres, insights etc) ?
S. G-T. : L’échelle locale, voire communale, reste l’échelon auquel les citoyens accordent le plus de confiance, le Maire étant l’élu de la République « préféré » des Français. Mais il y a autant d’attentes particulières que de citoyens, autant d’attentes particulières que d’électeurs. Le Maire, les élus et les équipes municipales sont en charge de l’intérêt général. Les initiatives de consultation des habitants se multiplient, voire des pratiques renouvelées et continues de démocratie locale : bel exemple, la mise en place de budgets participatifs se généralise. Le très local, voire l’ultra-proximité, à l’échelle d’un quartier, d’une rue, d’une copropriété … sont en capacité de mobiliser les citoyens.
Et vice-versa, les habitants eux-mêmes tendent à engager des initiatives et les proposer à leur commune : planter librement des fleurs autour des arbres et ainsi s’investir à leur niveau dans l’espace public ; actions de solidarité spontanées pendant la période de confinement entre voisins que les communes ont accompagnées sans en être forcément à l’initiative etc. Des collectivités sont pionnières et ont déjà exploré le renouvellement du fonctionnement de leurs instances de démocratie locale de manière plus participative. Face à ces évolutions, des startups ont décidé d’explorer ces attentes et ces besoins et proposent des solutions de Civic Tech qui facilitent cette relation élus-citoyens.
Notre volonté avec le SMCL, est de répondre avec les solutions les plus adaptées aux attentes citoyennes relayées par les Maires et leurs équipes. En ce début de mandat les priorités récurrentes restent la sécurité, la santé, les infrastructures et la transition écologique, et la ville reste à mon sens l’observatoire du quotidien pour alerter, anticiper, proposer, coordonner les différents échelons département, région, Etat et rendre plus efficace l’action locale.
The Good : Urgence climatique, justice sociale, crise économique post-covid : quelles sont les mesures concrètes qui selon vous doivent se mettre en place de manière globale, et celles qui doivent s’adapter aux différentes collectivités ?
S. G-T. : Les exigences « globales », celles qui s’imposent à tous les acteurs publics sont connues et aujourd’hui codifiées dans de nombreux textes : lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de GES ; adaptation face aux dérèglements climatiques irréversibles déjà en place, préservation ou remédiation des espaces naturels pour faire face à l’érosion de biodiversité, développement local, exploration d’organisations et boucles circulaires pour limiter l’épuisement des ressources naturelles et répondre aux besoins humains. Et bien sûr les exigences de solidarité et d’accompagnement des populations les plus fragiles. Néanmoins, les territoires ont leurs spécificités historiques, économiques, sociales, écologiques appelant à des actions, des réactions, des solutions spécifiques. Trois exemples :
1. Les territoires littoraux sont confrontés à des réalités qui les obligent à se projeter sur les décennies à venir, tout en gérant actuellement la problématique des zones inondables. Ils anticipent par exemple la relocalisation dans les terres de certaines infrastructures, habitat, activités économiques… Tout comme ils doivent appréhender des mesures de protection nouvelles (les digues brise-lames étant déjà des solutions limitées face à la mer et sa force). Les solutions de protection naturelles telles que la revitalisation des zones humides, des marais, ou encore des mangroves sont redécouvertes et démontrent leur efficacité pour protéger les populations et les terres face aux assauts de la mer.
2. Les grandes agglomérations sont confrontées depuis plusieurs années aux phénomènes de canicule. La lutte contre les îlots de chaleur urbains, la végétalisation des villes, le développement de réseaux de chaleur/froid (pour ne pas tomber dans le piège de la climatisation), cela existe et tend à se généraliser.
3. Les territoires agricoles sont quant à eux en première ligne de la transition agricole et alimentaire. Les collectivités sont là pour accompagner les agriculteurs à transformer les pratiques agricoles, protéger les écosystèmes, assurer une alimentation saine, et continuer de nourrir les villes.
Nous touchons ici les solidarités qui existent entre les territoires. Les territoires ont vocation à retrouver de la souveraineté énergétique, alimentaire, industrielle, mais ils ne seront pas autarciques. Ils le feront ensemble en fonction de leurs potentiels, atouts, créativité, volonté etc. Aussi, sur le terrain social, les dernières années ont permis aux populations d’exprimer leur besoin de protection. Le champ de l’action sociale peut lui-même être réinterrogé. Il ne doit plus être appréhendé en propre mais doit s’articuler avec d’autres enjeux. Par exemple, l’économie de la réparation et du réemploi doit se développer car elle permet aussi des modes de vie plus sobres. Les ressourceries, ou recycleries, sont des lieux où émergent à la fois ces nouveaux modèles de consommation, proposent des services bénéfiques pour les plus fragiles. Il en est de même sur l’énergie, la transition énergétique est une dynamique essentielle pour la lutte contre la précarité énergétique, via la rénovation énergétique des bâtiments. Ce sont ces champs transverses, ces convergences, ces synergies croisées qui sont aussi des terreaux fertiles de renouvellement de l’offre du SMCL sur des actions qui se jouent déjà dans les territoires.
The Good : Le SMCL, c’est l’occasion de faire se rencontrer les points de vues et expertises pour repenser les territoires ensemble. Comment les entreprises peuvent-elles concrètement travailler avec les collectivités ? Pouvez-vous nous donner des exemples de collaborations fructueuse entre entreprises privés et institutions publiques ?
S. G-T. : Le premier des axes de collaboration, c’est la commande publique. C’est un levier majeur de transition. Les collectivités locales ont la capacité d’accélérer les transitions à partir de leurs achats. Ces derniers sont des leviers énormes d’orientation des marchés. Par la commande publique, les entreprises travaillent au quotidien avec les collectivités territoriales et les collectivités territoriales travaillent au quotidien avec les entreprises françaises.
Et puis la commande publique locale soutient aussi l’investissement. Les dépenses d’investissement des collectivités locales font d’elles le premier investisseur public. Nous le sentons bien aujourd’hui avec la nécessité de la relance de l’économie française qui se jouera dans les territoires. Les collectivités contribuent au renouvellement des infrastructures, aux acquisitions immobilières et mobilières, à l’aménagement, la rénovation ou requalification urbaine … qui mis bout à bout contribuent au développement économique. En 2018, ce niveau d’investissement s’élevait à 48,5 milliards €. Elles sont une part essentielle du dynamisme économique local et in fine national. On le voit ne serait-ce que dans le domaine des cantines scolaires. On ne compte plus les initiatives locales qui font appel aux circuits courts, aux agriculteurs, aux maraîchers, aux fournisseurs implantés sur le territoire de la commune, ou en proche voisinage.
En marge de cela, il y a des nouveaux modes de coopération qui se développent : des partenariats public-privé, des appels à projets communs collectivité-entreprise (voire citoyens, notamment sur le développement des EnR) … Ces contextes de collaboration sont essentiels car ils touchent aussi à des enjeux de financement. Les financements publics sont de plus en plus contraints, ces nouvelles formes de coopération permettent d’engager des schémas de co-financement intéressants où chacun contribue aux biens communs (les équipements publics, les infrastructures, la nature, les services …).
The Good : Point finance : la transition écologique a un prix. Comment s’investir dans ces sujets en pleine crise économique ?
S. G-T. : L’essentiel est là : l’investissement. Il s’agit d’investir coûte que coûte pour générer de la valeur, de la richesse, de l’activité, de l’emploi, de l’attractivité … Les autorités publiques doivent jouer leur rôle pour assurer l’avenir. L’articulation et la coopération de tous les niveaux d’autorités, Etat, collectivités, filières économiques (bâtiment, transports, réseaux …).
L’investissement a un coût. Mais plutôt que de raisonner en termes de dépenses, il faut raisonner en termes de retours sur investissement. Le salon des Maires offre une plateforme de coopération et d’investissement entre le secteur public et le secteur privé indispensable au territoire, une occasion d’avancer ensemble, de créer ensemble les solutions qui préparent l’avenir de nos territoires.