Et si les monnaies locales reprenaient les principes des crypto-monnaies pour accélérer leur développement ? En Suisse, le Léman, la monnaie “complémentaire, locale, citoyenne, durable et solidaire du bassin lémanique transfrontalier” s’est doublée dès 2018 d’un e-Leman, basé sur la blockchain. De quoi inspirer d’autres initiatives ?
Plus de 80 monnaies locales et complémentaires existent en France, en marge de l’euro. “Elles ont la particularité de recentrer tout le système monétaire sur l’économie locale, en circonscrivant l’usage de la monnaie sur un territoire donné”, expliquait Abdou Chaoui, analyste chez Fabernovel à l’occasion d’une table-ronde en ligne sur le sujet. Leur mission première est donc d’encourager la population à acheter auprès de vendeurs et producteurs locaux et de renforcer les échanges entre acteurs économiques du territoire. Un enjeu qui gagne en acuité avec la crise sanitaire.
“Au déconfinement, on a vu une forte hausse des ouvertures de compte et des volumes de change mensuels automatiques”, confirme Iban Carricano, responsable communication chez Euskal Moneta, l’association qui émet l’Eusko, la monnaie complémentaire du Pays basque. Celle-ci se présente comme la plus importante monnaie locale d’Europe, devant le Chiemgauer en Allemagne et le Bristol Pound en Angleterre.
Concrètement, ces monnaies alternatives, qui ont leurs propres billets et moyens de paiement, sont le plus souvent convertibles à un taux fixe dans la monnaie nationale (l’euro en France, le Franc suisse pour le Léman, etc.). Leur usage est limité aux entreprises et commerces qui l’acceptent pour leurs échanges avec d’autres professionnels ou des particuliers. Les particuliers peuvent faire le choix de convertir une partie de leur épargne – ou dans certains cas, de recevoir directement une partie de leurs salaires – dans cette monnaie locale.
Pour les territoires concernés, les avantages de ces monnaies complémentaires sont nombreux : la monnaie (et la valeur qui lui est associée) reste dans l’écosystème local et contribue à soutenir les producteurs et distributeurs implantés localement. Elles peuvent aussi aider à la relocation de certains biens et services. En cas de crise, ces monnaies peuvent également être des facteurs de résilience territoriale.
Julien Prat, Chercheur au CNRS et enseignant au sein de l’Institut Polytechnique de Paris pointe néanmoins deux limites au déploiement des monnaies locales : le risque de contrefaçon et le “commitment”, autrement dit, comment s’assurer que la monnaie gardera sa stabilité dans le temps et que l’instance locale qui l’émet ne sera pas tentée de faire jouer la planche à billets ? “La blockchain permet de résoudre ces deux problèmes”, estime-t-il, tout en précisant que le fait qu’une technologie de confiance soit disponible ne se traduit pas nécessairement par une adoption massive…
“On ne voit pas le bitcoin être adopté comme monnaie, à part en temps de crise. Pourquoi ? Du point de vue des usages, le système monétaire fonctionne très bien, il n’y a pas vraiment de besoin de quitter la monnaie”, explique-t-il. En effet, si les avantages collectifs des monnaies complémentaires sont certains, ils sont plus limités à court terme pour les individus. Blockchain ou pas blockchain, l’utilisateur qui convertit une partie de ses avoirs en monnaie locale perd en pouvoir d’achat et voit ses possibilités de dépenses limitées…
Dans le Pays-Basque, la monnaie locale Eusko a semble-t-il levé une partie de ces freins : en circulation depuis le 31 janvier 2013, elle est désormais adoptée par plus de 3 800 adhérents particuliers et un réseau de plus de 1 000 professionnels, ainsi que par 23 communes. S’il n’est pas encore question de connecter cette monnaie à une blockchain, il est possible depuis peu de payer en Euskal grâce à son smartphone dans une centaine de commerces, avec l’application Euskopay. Une innovation qui tombe à point nommé alors que les paiements sans contact connaissent une croissance sans précédent depuis la crise sanitaire. “Mais les changements de pratiques sont longs”, reconnaît Iban Carricano : la technologie ne lèvera pas tous les freins à l’adoption des monnaies locales…