The Good : Quel est votre regard après un peu plus de cinq années à la tête de Michelin ?
Florent Menegaux : Les cinq dernières années, qui ont été d’une rare intensité, ont vu Michelin relever de très nombreux défis. Comme le reste du monde, nous avons dû faire face à une crise totalement inédite avec le Covid et tous les impacts que l’on connaît. Nous avons connu des mutations profondes, des changements structurels et nous avons dû repenser nos façons de produire, comme nos façons de travailler.
Je suis encore très frappé par le fait que, malgré ce contexte hors norme, l’entreprise ait démontré sa résilience et sa capacité à avancer grâce à un collectif extrêmement soudé. Nous parvenons à maintenir le cap que nous nous sommes fixés dans le cadre de notre plan stratégique Michelin in Motion, qui consiste à conjuguer performance économique, respect de l’humain et protection de la planète. Chez Michelin, l’un ne va pas sans l’autre.
Votre magazine traite de sujets liés aux enjeux durables et à la planète. Sur ce plan, Michelin est extrêmement volontariste, nous nous sommes très concrètement engagés pour protéger les ressources de la planète et réduire nos émissions de CO2. Nous avons clairement affiché notre ambition d’atteindre en 2050, une neutralité carbone totale et l’utilisation à 100 % de matières durables ou recyclées pour produire nos pneumatiques.
The Good : Pouvez-vous nous raconter comment vous avez dû faire face au Covid?
Florent Menegaux : Nous avons vécu une période totalement hors norme.
La première préoccupation du Groupe a été de protéger les salariés, parfois en prenant la décision de cesser temporairement certaines activités dans les zones géographiques les plus touchées.
Ensuite, nous avons dû adapter nos modes de fonctionnement, notre organisation, dans le respect des législations gouvernementales locales en vigueur à l’époque. Nous avons connu des perturbations de tous types, des chaînes d’approvisionnements à la pénurie de matières premières, mais nous sommes parvenus à maintenir nos activités pour assurer le meilleur service à nos clients.
Je suis très fier de nos équipes. Je retiens de cette période une grande inquiétude mêlée à une immense force collective, partout dans le monde, pour surmonter la crise.
The Good : Les élections européennes et législatives françaises en 2024 ont été pleines de surprises. Quelle en est votre analyse ?
Florent Menegaux : Il ne m’appartient pas de commenter des évènements d’ordre politique mais il est évident qu’en tant qu’entreprise, nous avons besoin de stabilité afin d’avoir la capacité de nous projeter. Nous évoluons dans un monde en perpétuelle accélération, où la compétition est féroce.
The Good : Concernant l’une des mesures au cœur de la crise économique, politique et sociale : la hausse du SMIC. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous êtes pour ?
Florent Menegaux : L’histoire sociale de Michelin démontre que, depuis sa création, les fondateurs avaient une vision sociale très développée. L’accompagnement des salariés a toujours été au cœur des engagements du Groupe, ce qui a d’ailleurs pu être critiqué à certaines époques. Tout ceci est un héritage précieux et l’humain reste au cœur de ce que nous sommes en tant qu’entreprise. Nous avons la chance d’avoir un taux d’engagement de nos salariés très élevé (84 %). C’est une responsabilité et cela nous donne le devoir de faire en sorte que nos collaborateurs vivent sereinement grâce à leur salaire et soient heureux de venir travailler le matin.
Concernant la question du SMIC, je ne veux pas être donneur de leçon car chaque entreprise a sa propre configuration et ses propres contraintes.
En revanche, la mise en place d’un salaire décent et d’une protection sociale universelle chez Michelin tendent à démontrer que de telles mesures ne sont pas utopiques et qu’il est possible de développer, au même niveau, la performance économique et le bien être des salariés.
The Good : Michelin a initié Movin’On, un réseau inter-entreprises et groupe de travail dédié à la mobilité durable. En quoi selon vous il est urgent que les entreprises s’unissent pour le bien commun ?
Florent Menegaux : Les entreprises – et les pouvoirs publics – doivent s’unir absolument et sortir des silos classiques. Lorsqu’il s’agit de rendre nos activités, et plus largement nos secteurs d’activité, plus durables, nous sommes plus que jamais interdépendants.
Ces enjeux sont extrêmement importants et demandent un effort conséquent et collectif.
Nous le constatons au moins dans deux domaines :
- Celui de l’énergie par exemple. Nous savons d’ores et déjà que chaque énergie, y compris électrique, ne sera pas disponible en quantité suffisante pour que tous les secteurs puissent les utiliser sans contraintes, et de la façon la plus efficace. Il s’agira donc de choisir l’énergie la plus pertinente pour chaque utilisation, en fonction d’un optimum qui ne pourra être que collectif.
- Autre exemple dans le domaine des ressources humaines nécessaires, les besoins sont très importants mais ne sont pas encore disponibles. Sur ce point, beaucoup de secteurs sont déjà confrontés à une pénurie de main d’œuvre. Des remises à niveau et l’apprentissage de nouveaux métiers seront nécessaire, mais cela demande du temps.
Nous devons donc nous unir pour agir de façon concertée entre secteurs publics et privés. Il s’agit à la fois de mettre nos moyens en synergie, capacité d’innovation d’un côté, réglementation et investissements de l’autre. Ensemble, nous devons également veiller à être pragmatique quant à la faisabilité de nos ambitions, pour générer l’adhésion des consommateurs et des entreprises.
The Good : Le Movin’On Summit aura lieu le 7 novembre à Bruxelles : l’ambition est-elle de mobiliser plus d’entreprises européennes autour des enjeux de mobilité durable ?
Florent Menegaux : Ce Sommet de la Mobilité Durable porte une double ambition. Il s’agit d’abord d’établir un dialogue constructif avec les pouvoirs publics, garantir la faisabilité de la décarbonation du transport terrestre en Europe.
Nous sommes tous conscients que seuls un travail de fond et une approche en écosystème peuvent produire des résultats pour transformer la mobilité.
Il y a 25 ans, Michelin créait le Challenge Bibendum, devenu Movin’On il y a sept ans. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises nous emboitent le pas et engagent des initiatives du même type – et on ne peut que s’en réjouir – mais il faut aller plus loin et passer de l’intention à l’action. Toutes les initiatives vertueuses sont bonnes mais elles doivent être mutualisées pour avoir un réel impact et parvenir à des choses concrètes. C’est dans cet esprit que j’ai pris la décision de rendre Movin’On indépendant de Michelin et de lui conférer un statut juridique qui lui permettra de fédérer toutes les entreprises et toutes les initiatives. J’espère que ce changement de positionnement incitera de nombreuses autres entreprises à rejoindre Movin’On. Unir nos forces respectives est le meilleur moyen de servir le bien commun et de renforcer un écosystème européen puissant pour faire progresser la mobilité durable.
The Good : La directive européenne CSRD est-elle un signal encourageant concernant la transformation écologique et sociale des entreprises ? Pourquoi ?
Florent Menegaux : Cette directive, qui vise à harmoniser et améliorer la qualité des informations publiées par les entreprises, permettra de fournir aux financeurs et à toutes les autres parties prenantes des informations pertinentes, comparables et fiables en matière de durabilité. En ce sens, elle veut améliorer la transparence et lutter contre l’écoblanchiment. Très concrètement, cette directive met sur un pied d’égalité l’information de durabilité et l’information financière, ce qui, pour Michelin, est très cohérent avec notre approche « Tout Durable ». Le groupe Michelin a en effet une longue expérience en la matière qui comprend, depuis plus de 10 ans, un volet reporting avec la publication de nos ambitions, puis de nos résultats.
Pour autant, même si la directive CSRD de l’Union Européenne permet aux entreprises de structurer et de renforcer leur approche développement durable, elle n’en reste pas moins très complexe dans la mise en œuvre. Il est important que ce type de directive n’entame pas la compétitivité des entreprises et le « fair level playing field » au niveau mondial.
L’essentiel, au-delà des contraintes réglementaires, est que les entreprises aient un impact positif dans les sphères environnementales et sociales.
The Good : A quoi ressemblera la mobilité en 2050 ?
Florent Menegaux : Nous croyons fermement au rôle fondamental que joue le mouvement dans le développement humain. En interne, nous nous sommes collectivement engagés à définir ce qu’était Michelin et où nous voulions aller, en effectuant un travail introspectif sur les plus grands défis que l’humanité aurait à relever d’ici 2050 pour améliorer la vie des générations futures. Aux côtés du progrès social, de la préservation de la planète ou de l’innovation, la mobilité est apparue comme l’un des défis majeurs.
Michelin construit aujourd’hui un manufacturier leader mondial des composites et expériences qui transforment notre quotidien, et à travers notre stratégie, nous contribuerons naturellement à rendre la mobilité plus accessible et inclusive, toujours plus sûre et respectueuse de l’environnement. Car c’est à tout cela que la mobilité devra ressembler en 2050. La mobilité est un droit fondamental essentiel à l’humanité, elle est et doit rester une liberté que nous devons préserver.
Interview complète est à lire dans la revue The Good Juillet/août/septembre 2024.