25/02/2025

Temps de lecture : 4 min

« Luttons avec acharnement pour préserver notre planète pour les générations à venir », Christian Kempf (explorateur et fondateur de Grands Espaces)

À l’occasion de la Journée Internationale de l’Ours le 27 février 2025, Christian Kempf, explorateur et fondateur de Grands Espaces, livre pour The Good sa vision des régions polaires et de la faune arctique.

L’ours, qu’il soit brun, noir ou polaire, est aujourd’hui un indicateur clé des bouleversements environnementaux. Le changement climatique modifie drastiquement son habitat, son comportement et sa survie, faisant de lui un symbole majeur des enjeux écologiques contemporains. À l’occasion de la Journée Internationale de l’Ours le 27 février 2025, Christian Kempf, explorateur français expert des régions polaires et de la faune arctique, détaille pour The Good son analyse de ces écosystèmes fragilisés et de la manière dont ils peuvent être préservés.

Il a plus de 40 ans d’exploration polaire à son actif, mais aussi 23 expéditions scientifiques depuis 1973 et une connaissance intime des ours dans leur milieu naturel. Il est à l’origine de Grands Espaces, une compagnie spécialisée dans les croisières touristiques polaires responsables. Créée en 1998, celle-ci comprend une flotte de bateaux rénovés et à faible émission et impact sur l’environnement, et une idée défendu par Christian Kempf: « lier la découverte du Grand Nord et la conservation de l’environnement en faisant des touristes les meilleurs ambassadeurs de la protection de cette nature encore vierge« .

The Good : Après plus de 52 ans d’exploration polaire, quelles sont les évolutions les plus marquantes que vous avez observées sur les populations d’ours et leur habitat ?

Christian Kempf : Autrefois très rare (jusqu’à 900 ours étaient abattus chaque année autour de 1930 rien qu’au Spitzberg), l’observation des ours polaires est aujourd’hui plus fréquente. Lors d’une croisière polaire, il est courant d’en voir entre 5 et 20. Depuis 1973, la population mondiale s’est reconstituée pour atteindre entre 22 000 et 25 000 individus. Cependant, cette population est aujourd’hui menacée par deux facteurs majeurs : la chasse, qui empêche toute augmentation démographique, et la réduction de la banquise, qui limite leur habitat naturel.

Chaque année, plus de 1 200 ours sont tués : environ 800 au Canada, 200 au moins braconnés en Russie et 250 au Groenland. De plus, en tant que super prédateur, l’ours polaire accumule les polluants dans son organisme, entraînant de nombreux cas de stérilité, des perturbations hormonales et une diminution de sa résistance face aux maladies.

The Good : Pourquoi l’ours polaire est-il aujourd’hui un symbole majeur du changement climatique ? Quels signaux d’alerte nous envoie-t-il sur l’état de notre planète ?

Christian Kempf : L’ours polaire est l’emblème de l’Arctique, et son régime alimentaire repose à 90 % sur les phoques, qu’il chasse sur la banquise. Il est donc directement dépendant de cette dernière, dont la disparition a un impact majeur sur l’espèce. Cependant, les ours font preuve d’une étonnante capacité d’adaptation en se tournant vers d’autres proies.

Toutefois, la pollution frappe l’Arctique de plein fouet, fragilisant encore davantage les ours polaires et compromettant leur avenir.

The Good : Comment les ours, qu’ils soient bruns, noirs ou polaires, s’adaptent-ils aux modifications de leur environnement ? Peut-on parler d’une véritable résilience animale ?

Christian Kempf : Oui, ce sont des prédateurs, voire des super prédateurs, dotés d’une intelligence développée qui leur permet de mieux s’adapter aux changements environnementaux que d’autres espèces.

Au Svalbard, par exemple, la population de morses a fortement augmenté, passant d’environ 50 individus dans les années 1970 à près de 4 000 aujourd’hui. Les ours polaires s’attaquent de plus en plus à eux. Ils renouent également avec les pratiques de leurs ancêtres en consommant les carcasses de baleines échouées. Ces réserves de viande en bord de mer ont permis à l’espèce de survivre aux périodes interglaciaires du Quaternaire récent.

The Good : La disparition progressive de la banquise force-t-elle l’ours polaire à modifier son comportement alimentaire ? Existe-t-il un risque d’hybridation avec d’autres espèces comme le grizzly ?

Christian Kempf : Comme mentionné précédemment, oui. Chaque année, on recense entre 5 et 10 cas – au maximum 34 – d’hybridation entre l’ours brun et l’ours polaire en Amérique du Nord. Ces hybrides, surnommés « Grolars » ou « Pizzlys », ne représentent toutefois pas, pour l’instant, une menace significative pour l’espèce.

The Good : En tant qu’explorateur et fondateur de Grands Espaces, comment concilier tourisme, éducation et conservation pour sensibiliser sans impacter l’environnement ?

Christian Kempf : L’Arctique est confronté à des défis colossaux. Il y a encore dix ans, beaucoup doutaient du changement climatique. Mais lorsqu’ils ont vu, à mes côtés, le recul des glaciers et la fonte de la banquise, ils ont compris. Compris aussi la beauté saisissante de ces paysages. Or, on ne protège que ce que l’on aime, et on n’aime que ce que l’on connaît.

Le tourisme joue un rôle fondamental. Il reste limité (environ 120 000 croisiéristes sur un territoire de 20 millions de km²) et encadré par des codes de conduite stricts, des protocoles et une régulation du nombre de visiteurs par site. Un tourisme exemplaire, loin du surtourisme.

Ce tourisme est pourtant combattu par certains : les Inuits, qui souhaitent éliminer cette présence pour poursuivre la chasse aux narvals et aux morses ; les militaires russes, qui veulent exclure toute observation extérieure de leurs ambitions hégémoniques dans le Grand Nord ; ou encore les chalutiers, qui vident les mers polaires et voient d’un mauvais œil la présence de témoins gênants.

Et pourtant, le tourisme finance les communautés locales, soutient l’entretien des parcs nationaux et, surtout, exerce une pression politique et sociale pour la protection de ces régions polaires si fragiles.

Sans le tourisme, l’avenir de l’Arctique s’assombrirait, car les sentinelles de l’environnement disparaîtraient.

The Good : En tant que scientifique et explorateur, êtes-vous optimiste pour l’avenir des ours et des régions polaires ? Quelles sont les solutions qui vous inspirent le plus aujourd’hui ?

Christian Kempf : Le scientifique ne peut que constater l’impact destructeur de l’humanité sur la planète. Entre réchauffement climatique, pollution, perte de biodiversité et surpopulation, la Terre souffre. Je suis très pessimiste. Toutefois, notre ours polaire, qui a survécu aux périodes chaudes du Quaternaire, subsistera probablement en quelques lieux, notamment en mer de Beaufort ou à l’est du Groenland. Sa population pourrait chuter de 25 000 à environ 3 000 individus, mais il ne disparaîtra sans doute pas totalement.

Agissons !

Des États comme la Chine, les États-Unis, la Russie et certaines nations africaines accélèrent la destruction de notre planète. Ce sont des États criminels.

Mais à notre niveau, nous pouvons déjà réduire, voire interdire, la chasse aux ours. Chaque année, 1 200 ours sont abattus. Or, l’exemple des baleines et des morses montre que lorsqu’on met fin à la chasse, les populations animales peuvent se reconstituer.

C’est un message d’espoir.

Même si nous sommes témoins impuissants du dépérissement de notre planète face aux intérêts étatiques et industriels, souvenons-nous qu’un pas en entraîne un autre.

L’important n’est plus la vitesse, mais le cap. Gardons-le fermement en tête et luttons avec acharnement pour préserver notre planète pour les générations à venir.

 

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