En tant que première marque d’assurance mondiale, et l’un des principaux gestionnaires d’actifs, Allianz est aux avant-postes de la transformation du monde, des risques climatiques accrus comme de la nécessaire mutation de l’économie. Rencontre avec Marie-Doha Besancenot, Directrice Marque, Communication & RSE d’Allianz France qui nous décrypte les enjeux écologiques et sociaux du secteur, de son entreprise et des solutions à mettre en œuvre pour répondre à ces défis.
The Good : Que représente aujourd’hui Allianz en France et dans le monde ?
Marie-Doha Besancenot : Le groupe allemand Allianz est le leader européen de l’assurance, présent dans plus de 70 pays, au service de plus de 126 millions de clients. Allianz France est la deuxième filiale du Groupe, juste après l’Allemagne. Notre ADN est très européen, puisque près de 70% du chiffre d’affaires est réalisé en Europe. Ceci explique certainement notre sensibilité accrue aux enjeux sociaux et sociétaux en plus des enjeux environnementaux.
En France, nous sommes une marque relativement jeune (AGF jusqu’en 2009) et comptons 5,3 millions de clients et près de 8 500 collaborateurs, pour un chiffre d’affaires de 12,2 milliards d’euros. Nous disposons également d’un réseau d’Agents Généraux très important, présent dans toutes les régions françaises.. Nous sommes donc à la fois dépositaires d’une grande marque mondiale très forte (Allianz est la 1ère marque d’assurance au monde selon le classement Interbrand), et incarnons une marque de proximité, avec nos réseaux : plus de 97% des Français accèdent en moins de 20 minutes à l’une des 2 500 agences Allianz France.
The Good : Quels sont les principaux leviers d’actions RSE pour les groupes d’assurance ?
M-D.B : Nous disposons de 3 leviers : en tant qu’entreprise, en tant qu’assureur et en tant qu’investisseur.
La particularité du business model de l’assurance est d’être en cycle inversé, ce qui implique que les primes des assurés, perçues avant de leur rendre un service, sont investies. Donc Allianz, en plus d’être un grand assureur, est un grand investisseur – nous sommes l’un des principaux gestionnaires d’actifs au monde. Là réside sans doute notre levier d’action le plus fort, notre capacité à avoir un impact mondial en matière de RSE. L’univers de la gestion d’actifs s’étant mis en ordre de marche très tôt sur l’ESG, cela nous a donné un temps d’avance sur le volet assurance. Culturellement, nous avons rapidement adopté une logique de transparence et des systèmes de scoring, et avons pleinement intégré la logique extra financière dès 2016.
Notre deuxième levier d’action est «classiquement» de réduire notre empreinte carbone en tant qu’entreprise. En tant qu’entreprise citoyenne, nous faisons des ponts avec la société civile et investissons les thématiques RSE sur lesquelles nous pouvons avoir un impact fort comme par exemple l’inclusion sociale (56 655 heures de volontariat de la part des salariés Allianz et 50 millions de dons alloués à des projets solidaires en 2020). Nous nous insérons également dans les grandes coalitions mondiales, comme l’Asset Owner Alliance.
Ce qui est intéressant c’est l’alignement que nous sommes en passe de réussir entre les engagements pris côté investissement et les pratiques côté assurance. L’assurance n’est pas un secteur très émissif en soi. En revanche, nous assurons des activités qui peuvent l’être. Cela fait longtemps que nous avons une politique d’exclusion de risque extrêmement drastique comme sur le charbon.
L’univers de la gestion d’actifs s’étant mis en ordre de marche très tôt sur l’ESG, cela nous a donné un temps d’avance sur le volet assurance.
The Good : Comment, en tant qu’investisseur, transformez-vous vos activités pour un meilleur impact ?
M-D.B : La législation française a largement participé à la transformation du secteur, notamment sur le reporting ESG, qui permet de mieux connaître l’impact de ses activités et de celles de ses participations, et d’obtenir des benchmarks, pour pouvoir respecter la trajectoire des accords de Paris. Nous avons 3 leviers pour avoir un impact. Le premier levier, c’est évidemment de désinvestir. Le risque est que l’entreprise émettrice n’en deviendra pas pour autant plus vertueuse si elle est reprise par des investisseurs peu scrupuleux.
La 2e possibilité, c’est à l’inverse, d’investir, dans des Green bonds ou directement dans des projets responsables comme les énergies renouvelables. Enfin, le 3e levier, c’est l’accompagnement pour tirer vers le haut les entreprises dans lesquelles nous investissons, et dont on estime qu’elles doivent s’améliorer. Avec les systèmes de scoring nous remarquons vite quand une entreprise tombe sous un seuil d’acceptabilité. Nos équipes vont alors travailler avec l’entreprise et lui donner une trajectoire et une deadline au-delà de laquelle nous ne serons plus en mesure de continuer à l’accompagner. Nous avons pour ambition de décarboner notre portefeuille d’actifs de 25% d’ici 2025.
The Good : Vous avez également la possibilité de soutenir l’innovation à impact n’est-ce pas ?
M-D.B : Nous avons mis en place dès 2017 un fonds à impact avec Citizen Capital pour soutenir des entreprises engagées sur les sujets environnementaux et sociaux, comme l’accès à l’éducation. Nous avons aussi mis en place un fonds dédié aux hôpitaux sur le territoire français l’an dernier, et un autre sur la dépollution des friches industrielles, d’autres encore sur les énergies bas carbone, le verdissement des transports publics, la nutrition et l’agriculture responsable ou l’accès au logement. Il y a un grand intérêt pour ce type de projets. Nous investissons à travers des fonds à impact qui nous aident à identifier les projets les plus pertinents et impactants. Et nous nous associons parfois également à d’autres grands investisseurs pour créer des fonds plus larges.
The Good : Comment tout cela rejaillit-il sur votre métier d’assureur ?
M-D.B : Lorsque nous avons fait évoluer la direction RSE il y 6 ans et demi, notre PDG nous avait donné un mandat très clair : faire une RSE non-punitive. Mon premier réflexe à l’époque a été évidemment de revoir les produits d’assurance pour les rendre plus responsables. En toute franchise, ça n’a pas fonctionné. Il nous fallait au préalable une culture forte et partagée sur les sujets de RSE afin de pouvoir faire évoluer les façons de travailler et à terme la conception des produits.
Nous avons alors commencé par structurer une équipe ESG côté investissement. Puis les deux années qui ont suivi nous avons beaucoup réfléchi à notre propre impact, en tant qu’entreprise. Comment en fait-on un sujet d’entreprise qui parle aux collaborateurs, comprendre ce que chacun peut faire dans ses gestes du quotidien à travers son métier. C’était une phase d’appropriation collective des enjeux de RSE nécessaire, qui fait qu’aujourd’hui, nous pouvons enfin nous attaquer aux produits. C’est d’ailleurs inscrit dans notre plan stratégique « Vision Allianz France 2025 », adopté fin 2020, et tous les experts collaborateurs engagés dans la conception des produits ont désormais une feuille de route RSE.
Mon premier réflexe à l’époque a été évidemment de revoir les produits d’assurance pour les rendre plus responsables. En toute franchise, ça n’a pas fonctionné. Il nous fallait au préalable une culture forte et partagée sur les sujets de RSE afin de pouvoir faire évoluer les façons de travailler et à terme la conception des produits.
The Good : Vous êtes à la tête de la RSE d’Allianz depuis 6 ans. Quel a été votre chemin de transformation ?
M-D.B : Le chemin parcouru depuis 2016 est intéressant. Lors de notre premier hackathon RSE en 2017, nous nous étions concentrés sur quelques points prioritaires pour les améliorer, c’était une politique des petits pas. En 2019, nous avons lancé une démarche prospective collaborative inédite autour d’Allianz France 2030 visant à anticiper le prochain cycle stratégique avec les collaborateurs, à l’occasion de laquelle nous avions questionné les risques à venir. A l’époque, le sujet climatique émergeait partout. Nous avons alors décidé de lui consacrer un nouvel exercice d’intelligence collective que nous avons appelé « Allianz for Good », qui a mobilisé 300 personnes pendant 3 mois et demi. L’idée était d’intégrer la question environnementale dans une perspective à 10 ans, et de faire plancher nos experts internes sur ce que cela impliquerait pour nos offres et produits – quels critères, quelle tarification ? Consacrer une demi-journée par semaine au sujet pendant plusieurs mois, cela représentait évidemment un effort pour les experts, mais tout le monde a très bien compris qu’on entrait dans une nouvelle ère et c’était dans leur intérêt de contribuer à définir une trajectoire à la fois ambitieuse et raisonnable. A l’issue de l’exercice, nous avons intégré les propositions recueillies au sein du nouveau plan stratégique d’Allianz. Les priorités sociétales et environnementales sont ainsi inscrites dans 2 des 5 piliers de notre plan stratégique.
The Good : Comment, dans une entreprise de plus de 8 500 collaborateurs, embarque-t-on ses parties-prenantes dans la transformation ?
M-D.B : Malgré une conviction forte et portée de longue date en matière de RSE, il a fallu toute une acculturation interne, puis celle des Agents Généraux. La crise du COVID a contribué à accélérer les choses et tous sont désormais convaincus et intègrent d’eux-mêmes les engagements RSE dans le discours commercial.
Nos produits deviennent intrinsèquement responsables. Nous avons travaillé pendant plusieurs années sur une grille « empreinte » unique pour tous nos produits. Il s’agit d’un autodiagnostic, sur 9 grandes thématiques, à destination de toutes les personnes qui sont en charge des lancements de produits. Cette évaluation aboutit à une note. Si celle-ci est en deçà du seuil que nous avons déterminé, le produit ne peut pas sortir et il faut revoir sa copie. Cette grille ambitieuse est labellisée par l’Afnor et couvre l’ensemble des leviers à la disposition d’un assureur. Nous l’avons d’abord appliquée aux produits en lancement, et maintenant nous balayons toutes nos offres en portefeuille. Ce travail porte ses fruits, puisque par exemple l’offre de responsabilité civile des entreprises (« Allianz Responsabilité des Entreprises ») a été complètement repensée, en intégrant des garanties RSE. Nous sommes la première filiale d’Allianz à le proposer et le premier assureur en France.
Nous nous sommes également engagés dans un travail de certification des agences, en partenariat avec l’Afnor là encore. Nous sommes partis de la grille Afnor dédiée aux auto-entrepreneurs et l’avons fait évoluer pour qu’elle corresponde à l’activité d’un Agent Général. Avec ce dispositif, Allianz est le premier assureur en France à voir sa méthode d’évaluation certifiée par l’Afnor. Les Agents doivent remplir cette grille d’autodiagnostic assez exigeante, qui permet aussi de les acculturer sur les volets E et S, de leur consommation de papier à la formation de leurs collaborateurs, en passant par la mise à disposition d’une borne de recharge pour les véhicules électriques sur le parking de leur agence . Nous avons un objectif de 500 Agents Généraux certifiés d’ici la fin de l’année, qui pourront afficher un logo « Agent engagé » dans leur vitrine. C’est un pari que nous faisons d’un point de vue commercial, en outre l’agent qui est passé par tout ce processus de certification est désormais parfaitement au fait des enjeux et des initiatives d’Allianz France en matière de RSE. Il saura en parler à ses clients et porter les différentes opérations RSE auprès de sa clientèle et de ses prospects. On se rend compte aussi que ceux qui s’engagent sur la certification, sont aussi ceux qui s’engagent le plus dans nos actions de prévention. En retour, nous leur donnons de la visibilité en communication, avec des portraits des “Agents labellisés RSE” par exemple.
Nos produits deviennent intrinsèquement responsables. Nous avons travaillé pendant plusieurs années sur une grille « empreinte » unique pour tous nos produits.
The Good : Comment vous positionnez-vous face aux mutualistes qui semblent avoir un temps d’avance sur les sujets d’impact ?
M-D.B : C’est en matière de Gouvernance qu’il y a des différences. En tant qu’assureur privé, notre modèle économique est différent : nous avons des actionnaires à convaincre. Pour autant, comme je l’indiquais précédemment, la RSE est au cœur du plan stratégique Groupe. Sur le social et l’environnemental, nous vendons les mêmes produits que les mutuelles. Un exemple : la question du réemploi des pièces automobiles : en cas d’accident, nous orientons nos sinistrés vers un garage agréé, et le client a la possibilité de demander une pièce de réemploi, c’est moins cher pour lui et meilleur pour tout le monde. Cette opportunité d’avoir recours à des pièces de réemploi est présente dans nos offres depuis très longtemps. Idem sur le sujet de la confidentialité des données : nous avons un niveau d’exigence extrêmement important. Par ailleurs, grâce à notre maillage territorial, nous avons des Agents extrêmement proches de leurs clients, qui ont des préoccupations similaires. Par exemple, en matière d’assurance auto, nous sommes au plus près de l’évolution des usages et des pratiques des Français. Notre approche est de ne pas pénaliser les propriétaires de véhicules diesel. En revanche, nous proposons des tarifs préférentiels pour les voitures hybrides, et nous sommes très actifs en matière d’information, de sensibilisation (à l’écoconduite par exemple) et de prévention.
Un jour, nous pourrions peut-être introduire un élément environnemental dans la tarification des assurances auto. Mais pour cela nous devons pouvoir mesurer les comportements. Nous avons lancé une appli auprès de nos collaborateurs pour évaluer leur propre éco-conduite, sur une période 3 à 6 mois. La prochaine étape serait de la proposer à nos clients.
The Good : Quels sont justement vos grands défis pour les prochaines années ?
M-D.B : Il y a évidemment le sujet de la mobilité, qui est au cœur de notre métier. Nous avons été très précurseurs en devenant l’assureur des nouvelles formes de mobilité comme les scooters électriques, la mobilité douce, l’autopartage avec le soutien de Get Around (ex : Drivy). Nous devons également rester au plus près des constructeurs pour réussir aussi ce pari de la conduite connectée en lien avec les sujets de transition énergétique.
Il y a aussi un enjeu majeur autour des risques et de la prévention : comment mieux partager la connaissance que l’on a des risques avec les pouvoirs publics pour co-construire ensemble des politiques de prévention adaptées, sans que ce soit évidemment liberticide. Sur le risque climatique, il s’agit de se demander comment cela reste assurable dans un univers où les épisodes qui nous paraissaient exceptionnels il y a encore quelques années se multiplient. Comment tarifer au juste prix, comment faire de la prévention et de l’information client ? Nous travaillons beaucoup avec des start-up qui ont les moyens justement de calculer les risques climatiques sur une zone géographique très précise pour que l’on puisse alerter très vite nos clients. En tant qu’assureur, nous avons évidemment un défi sur la santé et les données de santé. Il y a enfin les risques politiques et géopolitiques.