20/05/2024

Temps de lecture : 6 min

Mary-Lou Mauricio, la photographe qui voulait éveiller les consciences

Après 15 ans dans l’événementiel de luxe, May-Lou Mauricio a décidé de vivre de son art : la photographie. Pour sensibiliser à l’urgence climatique, elle a capturé plus de 2 500 visages pour son projet « Born in PPM ». Rencontre avec une repentie.

Après 15 ans dans l’événementiel de luxe, Mary-Lou Mauricio a décidé de vivre de son art : la photographie. Pour sensibiliser à l’urgence climatique, elle a capturé plus de 2 500 visages pour son projet « Born in PPM ». Rencontre avec une repentie.

« Quand je travaillais pour Vuitton, je pouvais aller quatre fois à Singapour en avion pour faire du repérage pour un seul événement », confie Mary-Lou Mauricio. Toute l’absurdité de notre monde et de certains métiers résumée en une phrase dans la bouche de celle qui a tout réévalué pour devenir une photographe engagée. Cette quarantenaire a trouvé la solution pour faire en sorte que ses deux enfants puissent se dire : « quand ils ont su, mes parents ont essayé de faire ce qu’ils pouvaient ». Et d’ajouter : « ils en voudront forcément à notre génération ». Chez Mary-Lou, l’éveil à l’urgence climatique s’est traduit par une grande bascule dans son mode de vie comme dans son métier, loin de la voie que s’était tracée l’ancienne étudiante en école de commerce.

Du monde corporate à celui de l’art, Mary-Lou a su jouer de ses talents d’équilibriste, acquis depuis l’enfance. Fille d’immigrés portugais, elle a grandi sur la très chic avenue de Wagram, « mais au rez-de-chaussée », avec une mère concierge, un père ouvrier et une grande sœur de sept ans son aînée. Elle connaît les rouages de la vie d’immigrés et sait ce que c’est « d’être un peu étranger ici, un peu étranger là-bas ». Toujours sur la crête, ni dans une case, ni dans une autre. Adolescente, elle fréquente un collège public, « mais dans un environnement favorisé ». Elle y tisse des amitiés dont le fil court toujours et apprend à parler le portugais, « mais avec un accent français ». Quand la question se posera plus tard de partir vivre au Portugal, elle décidera de rester vivre à Paris. Le rêve de ses parents ne lui appartient pas. Ce que la jeune fille désire à tout prix, en revanche, c’est rencontrer André Agassi. « J’étais fan à en pleurer », se remémore-t-elle. C’est en classe de troisième que son rêve se concrétise, lorsqu’elle devient ramasseuse de balles à Roland Garros. Une aventure qui durera cinq années avant de plonger dans le grand bain de l’événementiel.

C’est à cette période qu’elle découvre la photographie au lycée Racine, à Paris. Elle passe ses mercredis à travailler son art, mais lorsque vient l’heure de l’orientation, elle le relègue au rang de passion. « Je suis fille d’immigrés, c’était compliqué d’envisager de faire des études artistiques », livre-t-elle. Sans compter qu’à Roland Garros, elle voit « les mecs s’engueuler pour une place, se piquer des pellicules… », ce qui lui brise toute envie d’en faire un projet professionnel.

L’événementiel sportif en ligne de mire

Attirée par la « colonie de vacances » que représentent pour elle les tournois de tennis parisiens, elle met naturellement le cap sur l’événementiel sportif. Elle entre en prépa HEC pour apprendre, selon certains, « le meilleur événementiel possible », mais elle s’y sentira « dévalorisée, cassée ». Preuve en est, alors que l’amitié est sa boussole, elle n’a conservé aucune relation de cette période-là. Contrairement à une autre école de commerce, l’EDHEC, où elle entre ensuite et qui sera le terreau de nombreuses relations amicales et une amoureuse, puisqu’elle y rencontre son mari. Mary-Lou Mauricio adore l’expérience, mais regrette les « œillères » de l’école de commerce. « Tu rentres dans un tunnel : école de commerce, stages, grosses boîtes », regrette-t-elle.

Elle part quelques mois étudier au Mexique et lorsqu’elle revient en France, elle choisit le stage le mieux payé auquel elle a accès : chez Cartier. C’est le début d’un tunnel dont elle ne ressortira que 15 ans plus tard, après avoir « organisé des événements pour les plus privilégiés ». Les postes s’enchaînent, au sein de différentes maisons, mais s’affirment aussi, chaque fois un peu plus. Avant de claquer la porte de l’Oréal en 2020, en plein burn-out, Mary-Lou était responsable de l’engagement citoyen. Elle travaillait au département RSE avec une volonté de faire bouger les choses de l’intérieur. Elle y a notamment développé le « Citizen Day », une journée de sensibilisation pour les salariés, mais aussi l’arrondi sur salaire pour favoriser le don à des associations. Lors de cette dernière expérience, face au manque de moyens qu’elle essuie, elle finit par s’effondrer.  « Un soir, j’ai appelé une amie pour lui dire que je n’arrivais plus à rentrer à la maison. Elle m’a hurlé dessus : « à cause d’un boulot tu dis que tu ne peux pas t’occuper de tes enfants ? Mais c’est n’importe quoi » ». Mary-Lou réagit et décide de prendre le temps de se reposer et de remettre sa vie sur rails. Des rails différents, loin du salariat.

Retour aux sources

« Tu voulais être photographe, tu n’as jamais osé, c’est peut-être ça, le problème », lui glisse une amie. C’est une évidence. En 2020, Mary-Lou décide de s’offrir son rêve : intégrer la prestigieuse formation de photographie des Gobelins, à Paris. Avec la sérénité de deux années de chômage devant elle, elle se lance pleinement dans cette voie. Très vite, elle communique sur son travail en publiant, chaque semaine sur LinkedIn, le portrait d’une personnalité engagée dans l’économie sociale et solidaire. Grâce à la Fresque du climat, qu’elle découvre au sein d’une épicerie collaborative, elle ouvre les yeux sur les réalités du changement climatique. « Je pensais que les politiciens allaient régler ça, mais la Fresque du climat m’a mise en face de la réalité ». C’est un électrochoc. Elle laisse la déflagration produire ses effets, strate par strate. De la colère suscitée par tout ce qu’elle découvre, elle décide de faire un moteur pour passer à l’action. Elle devient formatrice et animatrice professionnelle de la Fresque et voit la photographie comme un outil de sensibilisation efficace. Sa nouvelle mission, appareil en main : faire prendre conscience, grâce à la visualisation, du danger de la croissance effrénée des émissions carbone. « Born in PPM » est né.

La COP 26 à Glasgow a attiré beaucoup d’activistes, mais pas à la COP 27 en Égypte. L’idée de « deux fresqueuses » est de faire entendre la voix de celles et ceux qui n’y sont pas. « J’ai suivi le mouvement pour concrétiser l’idée que j’avais en tête », se souvient Mary-Lou. « Les émissions carbone sont un problème qui s’accroît en fonction des générations et je voulais montrer ça. De plus, nous, Occidentaux, imposons ce taux de carbone à des gens qui n’ont rien demandé alors qu’ils n’ont pas joui de notre confort ». Elle expérimente, crée une planche d’inspiration, fait des tests dans son salon et trouve un concept fort : photographier des gens de tous âges et de tous horizons qui affichent, à l’endroit de leur choix sur leur corps, le chiffre de la concentration en CO2 dans l’atmosphère l’année de leur naissance. L’indice de mesure, les Parties Par Millions (PPM), est un réel marqueur de changement climatique. Il faudrait qu’il reste sous le seuil des 450 pour éviter un emballement climatique imprévisible, mais le compteur ne cesse de s’affoler année après année. En marge de chaque séance, Mary-Lou explique ce que sont les PPM, pourquoi il serait bon de s’alarmer que des enfants naissent par exemple en 421 PPM quand ce chiffre était à 342 à la naissance de leurs parents (en 1983), et recueille, en audio, les ressentis des personnes photographiées.

« Born in PPM » est un projet multidimensionnel, un projet d’équipe qui prend vite de l’ampleur, au gré d’événements comme l’Université de la Terre, Change Now ou les Univershiftés. La photographe a pu déployer son dispositif, souvent grâce à la confiance que lui ont témoignée des personnes clés comme Fabrice Bonnifet. Le directeur développement durable, qualité, sécurité et environnement du groupe Bouygues, mais aussi président du Collège des directeurs du développement durable (C3D), a organisé un shooting photo avec tous les directeurs et directrices du développement durable des plus grandes sociétés françaises. Aujourd’hui, « avoir son portrait PPM est devenu une manière de montrer que tu es une personne engagée. Certaines personnes ne mettent plus leur âge sur leur CV, mais leur chiffre PPM », se réjouit Mary-Lou.

Si plus de 2 500 personnes sont passées devant l’objectif de la photographe pour ce projet, parmi lesquelles le chef Raoni, Jean-Louis Étienne, Yann Arthus-Bertrand ou encore Jane Goodall, elle aimerait toutefois réussir à toucher des publics éloignés de l’art et de l’écologie. « Born in PPM est un projet pour démocratiser ce qu’est le changement climatique », soutient-elle. Mary-Lou Mauricio espère déployer son projet à très grande échelle grâce à une licence, accessible aux artistes à travers le monde. Elle ambitionne de monter une « grande exposition participative, à la JR », dans un endroit public. « Ce n’est pas ça qui va tout changer, mais j’espère que ça va y contribuer », espère la photographe.

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