08/04/2024

Temps de lecture : 5 min

« Notre ambition : que le droit à la santé et à l’égalité contribuent à la réussite scolaire », Zaïnaba Saïd-Anzum et Oumarou Doucouré (La Courneuve)

A La Courneuve (93), les médecins du centre municipal de santé ont pris en charge la médecine scolaire. Entretien avec Zaïnaba Saïd-Anzum, adjointe au maire au droit à la santé, aux personnes porteuses de handicap et de leur famille et Oumarou Doucouré, premier-adjoint au maire en charge de l'enfance et la petite enfance.

A La Courneuve (93), les médecins du centre municipal de santé ont pris en charge la médecine scolaire. Entretien avec Zaïnaba Saïd-Anzum, adjointe au maire au droit à la santé, aux personnes porteuses de handicap et de leur famille et Oumarou Doucouré, premier-adjoint au maire en charge de l’enfance et la petite enfance.

The Good : Comment les médecins généralistes du Centre Municipal de Santé de la Courneuve en sont-ils venus à prendre en charge la médecine scolaire ? 

Zaïnaba Saïd Anzum : La Seine-Saint-Denis et la Courneuve sont des déserts médicaux, et la médecine scolaire rencontre les mêmes difficultés que la médecine de ville. A une époque, nous avions trois médecins scolaires, sur la Courneuve. La dernière a été obligée d’arrêter brutalement en 2018, à plus de 70 ans. Elle est restée plus de 15 ans toute seule, en charge de 13 000 élèves alors que les préconisations nationales sont d’un médecin scolaire pour 5 000 élèves. Pour vous donner un chiffre, il y a 57 postes de praticiens de l’Éducation nationale ouverts en Seine-Saint-Denis et seuls 17 sont pourvus.  

Après 4 ans, sans qu’aucun bilan de santé n’ait été dressé aux élèves, nous avons donc eu l’idée de suppléer la médecine scolaire en proposant aux médecins généralistes de notre centre municipal de santé de se former à cette pratique et de la prendre en charge au sein des écoles de la Courneuve. Cette démarche a été réfléchie avec la communauté éducative, les élus, les parents d’élèves. C’est un projet partagé.   

Oumarou Doucouré : Nous avons été dans l’obligation de créer un système tiers pour pallier les défaillances de l’Etat, car la médecine scolaire relève de l’Education Nationale. Elle fait partie de ses compétences, car elle poursuit deux objectifs : la réussite scolaire et la réduction des inégalités en matière de santé. Or, en l’absence de médecins scolaires, d’infirmiers scolaires, de psychologues scolaires, ou d’assistantes sociales, c’est toute notre jeunesse que l’on met en danger. Comme nous avons pour ambition de faire du droit à la santé et de l’égalité dans la réussite scolaire une réalité, nous avons signé cette convention qui permet d’effectuer des diagnostics le plus précocement possible et d’accompagner chaque élève en fonction de ses besoins spécifiques.  

The Good : En quoi la médecine scolaire vous semble-t-elle si essentielle ? Les enfants ne sont-ils pas déjà suivis par ailleurs, dans le cadre familial ?  

Zaïnaba Saïd Anzum : Il y a une précarité sanitaire importante sur notre territoire. Parfois, il n’y a pas de suivi médical dans les familles. Et l’absence de médecin dans les déserts médicaux ne fait que renforcer cette précarité. Dans certains cas, la médecine scolaire est donc le premier pas dans le domaine de la santé pour les enfants. Elle est essentielle pour déceler des problèmes et préconiser des suivis.   

Oumarou Doucouré : En 2021, 42% de notre population vivait sous le seuil de pauvreté. Notre population est fragile et la santé est souvent laissée de côté. Lorsque vous avez des difficultés à payer votre loyer et votre alimentation, vous négligez d’aller voir le médecin. Être pauvre peut tuer. D’où l’importance pour nous d’avoir des médecins scolaires qui vont accompagner les familles.  

Zaïnaba Saïd Anzum : Normalement, tous les enfants scolarisés doivent voir un médecin scolaire à 3, 6 et 12 ans. Aujourd’hui en France, plus de 8 enfants sur 10 n’ont jamais vu un médecin scolaire. Lorsque ces visites obligatoires n’ont pas lieu, on passe à côté de pathologies qui peuvent être graves ou handicapantes, tels des problèmes de langage, de vue ou d’ouïe qui favorisent le décrochage scolaire et qui, forcément, font naître une frustration de l’enfant qui est en difficulté et à qui on n’apporte pas l’aide nécessaire.  

The Good : Avez-vous sollicité l’accord de l’Education Nationale ? Et quel est, pour la commune, le coût de cette médecine scolaire ?  

Zaïnaba Saïd Anzum : Nous avons créé une convention avec l’Education Nationale qui permet aux médecins généralistes de notre centre municipal de santé d’intervenir dans le milieu scolaire. C’est la première fois que cette idée était soumise à l’Education Nationale. Nous l’avons donc bâtie ensemble, nous nous sommes mis d’accord sur le périmètre. En réalité, ce sont six médecins qui se succèdent pour faire un seul équivalent temps-plein. Ils ont suivi une formation, car la médecine scolaire est une pratique différente. Les six médecins, qui ont tout de suite été volontaires – je tiens à le souligner – ont, depuis, pris goût à cette pratique.  

Oumarou Doucouré : La convention couvre un équivalent temps plein qui est financé par l’Education Nationale. Les postes sont budgétés, mais vacants, faute de médecins, donc le budget existe. 

The Good : Reste que vous n’avez toujours qu’un équivalent temps plein pour 13 000 élèves… 

Zaïnaba Saïd Anzum : Nous sommes en discussion avec l’Education Nationale pour élargir la mission afin de couvrir au mieux les actions qui sont prévues dans la convention….   

La médecine scolaire est prévue à tous les niveaux de la vie scolaire, de la maternelle au lycée et même à l’université. Le fait que nos médecins interviennent aussi bien dans le premier que dans le second degré interroge le nombre d’équivalent temps-plein qui est prévu dans la convention. Nous voulons, nous, augmenter le nombre d’ETP pour assurer un bon suivi des enfants. Nous essayons d’obtenir une augmentation de la quotité d’horaires auprès de l’Education Nationale. 

The Good : Il y a comme un paradoxe. Alors que votre territoire souffre de l’absence de médecin, vos médecins font de la médecine scolaire. C’est autant de moins pour les patients habituels, n’est-ce-pas  ? 

Oumarou Doucouré : Effectivement, le temps donné par nos médecins à la médecine scolaire est autant de temps en moins pour le centre municipal de santé ; c’est du temps en moins pour les patients du centre, adultes comme enfants. C’est un choix que nous avons opéré. C’est un choix politique. Nous souhaitons aider les enfants et les préserver. Ils ont droit à la santé. Plus on s’y prend tôt, mieux c’est. Il faut que tous les gamins puissent voir un médecin à un moment ou à un autre.  

Zaïnaba Saïd Anzum : Notre volonté est de faire de la prévention pour éviter des choses plus graves. Et nous avons pu constater que notre engagement n’est pas vain, car dès que nos médecins généralistes ont débuté la médecine scolaire, en 2021, des prises en charge adaptées ont été aussitôt engagées. Car oui, quatre ans d’absence laissent des séquelles aisément perceptibles lorsque l’on regarde les premiers éléments du bilan : situations médico-psycho-sociales complexes, troubles des apprentissages et du neuro-développement fréquents. 

The Good : Pour autant, est-ce que ces premiers pas dans un parcours de santé pour les jeunes garantissent un suivi pérenne  ? 

Zaïnaba Saïd Anzum : Lorsqu’une famille est « convoquée » par la médecine scolaire, elle est ensuite prise en charge au sein de la structure municipale. C’est vraiment une entrée dans un parcours de santé. L’enfant intègre un parcours de soin, avec un vrai suivi. Et la famille est entourée.  

Oumarou Doucouré : Reste que la Ville pallie les défaillances de l’Etat, dans ce domaine, comme dans bien d’autres, et à de nombreux niveaux. Nous devons faire toujours plus avec toujours moins de moyens. Cela rend plus difficiles notre quotidien et nos choix politiques. 

Allez plus loin avec The Good

The Good Newsletter

LES ABONNEMENTS THE GOOD

LES ÉVÉNEMENTS THE GOOD