Diplômé de l’ENA, Pascal Demurger délaisse la direction du budget au ministère de l’Économie et des Finances pour rejoindre la MAIF en 2002, puis en prendre la direction en 2009. Élu président du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (GEMA) en 2014, il participe à la construction de la Fédération française de l’assurance, dont il est vice-président depuis sa création en 2016 et jusqu’en juillet 2019. Dirigeant résolument engagé, il est convaincu que l’entreprise doit prendre des responsabilités écologiques et sociales. Il en parle dans son livre L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus, publié en juin 2019 aux Éditions de l’Aube.
Il développe le modèle d’entreprise original qu’est la MAIF. Société à mission depuis 2020, celle-ci a pris des positions remarquées comme le remboursement des primes d’assurance automobile lors de la crise sanitaire et la création d’un dividende écologique. En janvier 2022, il publie un rapport, en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès, qui énumère 12 propositions pour une réglementation en faveur de la transition écologique et sociale des entreprises. En mai 2023, il devient coprésident du mouvement Impact France pour un mandat de trois ans.
En 2023, le groupe MAIF (10 000 collaborateurs) réalise un chiffre d’affaires de 4,7 milliards d’euros, soit une hausse de 199 millions d’euros (+ 4,5 %). Celle-ci résulte d’une forte croissance du nombre de sociétaires qui atteint, pour la troisième année consécutive, un record historique (+ 106 000 nouveaux sociétaires et adhérents). L’excellence relationnelle est récompensée d’une première place sur le podium de la relation client pour la 20e année consécutive pour le secteur assurance.
The Good : Vous dirigez la MAIF depuis 2009. Que signifie, en 2024, « être un assureur militant » ?
Pascal Demurger : Être assureur militant, c’est une manière de faire son métier de manière singulière.
C’est d’abord être un dirigeant bienveillant et attentif. C’est dans la raison d’être de la MAIF : nous portons une attention sincère à l’autre et au monde. Cela se traduit par un management fondé sur la confiance et la considération, et par une préoccupation constante vis-à-vis du reste du monde. C’est tout le sens du dividende écologique que nous avons lancé en 2023 et qui redirige 10 % du résultat net du groupe – soit 2,3 millions d’euros en 2024 – vers des actions de préservation de la biodiversité et des actions de solidarité vis-à-vis de nos sociétaires les plus impactés par le dérèglement climatique.
Cela signifie aussi tendre vers une forme de sobriété commerciale. Nos agents ont pour consigne et responsabilité de ne pas vendre n’importe quoi à n’importe qui. Ils peuvent, s’ils le jugent inutile par exemple, résilier un contrat. Notre spécificité réside dans le fait que nos vendeurs ne sont pas rémunérés en fonction du nombre de ventes. Ils n’ont ni variables ni commissions.
C’est un engagement concernant notre politique tarifaire. Nous augmentons nos tarifs uniquement en fonction des charges de l’année à venir, pas au-delà. Nous refusons de faire payer moins cher les nouveaux clients, pratique récurrente chez les assureurs. Nous préférons, au contraire, récompenser nos clients fidèles.
Être assureur militant, c’est aussi une certaine manière de gérer les sinistres. Nos gestionnaires sont formés, sensibilisés et responsabilisés pour se placer dans l’intérêt de chaque client. Tous ont une liberté d’action et une confiance pour agir dans ce sens. Nous sommes prêts à renoncer à du chiffre d’affaires. Et ça marche puisque notre modèle économique est rentable parce que nos sociétaires sont fidèles. Or, la manière d’exercer son métier impacte plus généralement la société.
Tous ces efforts et cette politique se retrouvent dans la grande fidélité et le haut taux de satisfaction à la fois de nos clients et de nos 10 000 collaborateurs.
Être assureur militant, c’est finalement être une entreprise politique, au sens étymologique du terme : une entreprise qui s’intéresse à la vie de la cité et au bien commun.
The Good : Quel est votre regard sur le secteur de l’assurance qui connaît une transformation considérable ? Selon vous, le secteur de l’assurance est-il vraiment armé actuellement pour faire face au changement climatique ?
Pascal Demurger : Les conséquences du changement climatique sont désormais visibles. Les événements climatiques sont de plus en plus violents, intenses et récurrents. Or, ils coûtent très cher. Chaque année, l’inflation des coûts est multipliée par deux. Cela entraîne l’augmentation du coût des assurances habitation, et donc des difficultés à avoir accès à l’assurance pour une grande partie de la population, causant d’importants problèmes sociaux.
Il y a donc une nécessité d’obtenir des connaissances précises sur les zones exposées. Mais une fois que l’on possède ces informations, que fait-on de ces données ? Faut-il se retirer de ces zones à risques en tant qu’assureur ou bien accumuler les coûts ? Le problème est complexe.
Je pense que les assureurs doivent couvrir toutes les zones sans exception. Je pense aussi que la solution se trouve du côté des coalitions entre assureurs et pouvoirs publics. Il faut pouvoir mutualiser les gros risques.
Mais je remarque que, contrairement à il y a trois ans, où personne n’avait conscience du sujet, aujourd’hui, tout le monde en parle. Et notamment au ministère de l’Économie et des Finances où l’ancien ministre Bruno Le Maire avait mandaté Thierry Langreney pour rédiger un rapport sur le sujet. Dans ce dernier, les solutions pour maintenir l’assurabilité du territoire français furent nombreuses : augmenter la prime « cat nat » chaque année, imposer un bonus-malus aux assureurs et des mesures de prévention aux habitants, ou encore pénaliser les résidences secondaires et locatives.
S’en était suivie la publication, par la Caisse centrale de réassurance, d’une cartographie des zones les plus exposées aux risques climatiques ainsi que des zones délaissées par les assureurs.
L’enjeu que porte notamment la Fédération française de l’assurance, est désormais de réunir les assureurs pour trouver des solutions collectives et profitables à toutes les parties prenantes.
The Good : Vous êtes coprésident – avec Julia Faure de Loom – du Mouvement Impact France depuis un an et demi. Quel est votre regard sur les actions menées à mi-parcours de votre mandat ?
Pascal Demurger : Le pays a besoin d’une nouvelle voix patronale pour réussir les transitions écologiques et sociales. Notre objectif, avec Julia, est de porter cette idée au plus haut niveau et d’embarquer le plus d’entreprises possible pour être audibles.
Depuis notre élection, je pense que nous avons confirmé l’émergence de cette nouvelle génération de patrons et de patronnes. Le Mouvement Impact France ne cesse de croître. Il compte désormais 15 000 adhérents, dont de grandes entreprises comme Crédit Mutuel, Enedis, Doctolib, SNCF, Banque Populaire. Avec la campagne « Du sens pour l’entreprise », que nous avons lancée en octobre 2024, nous espérons amplifier ce mouvement.
Nous avons également mené une bataille culturelle importante, en nous positionnant sur des enjeux de société. Je pense par exemple à la défense de la loi fast fashion, au soutien à la campagne de l’Ademe sur les dévendeurs. Nous comptons aussi des victoires législatives, fruits d’un plaidoyer solide auprès des pouvoirs publics, par exemple sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises.
The Good : Êtes-vous convaincu que les entreprises sont l’une des clés sinon LA clé pour sortir de la crise écologique et sociale que nous traversons ? Pourquoi et comment y parvenir ?
Pascal Demurger : Nous sommes aujourd’hui dans une double impasse. D’un côté, faire reposer la transition écologique sur des efforts individuels conduit à des crises sociales profondes, comme l’ont montré les mouvements des gilets jaunes et la crise agricole du début de l’année. De l’autre, l’État se trouve souvent pris en étau entre les demandes d’ONG et celles d’entreprises, sans parvenir à trouver des compromis efficaces. Cela mène à des décisions parfois contradictoires, voire à des reculs en matière de transition écologique et sociale.
Le Mouvement Impact France ambitionne donc de faire de l’entreprise la solution face aux crises actuelles. Nous rassemblons des entreprises conscientes de leurs moyens et prêtes à prendre leurs responsabilités, et nous nous positionnons comme un acteur de compromis exigeant avec l’État. Nous voulons être le corps intermédiaire écologique et social dont le pays a besoin.
Cela passe par trois impératifs : être puissants, visibles et crédibles. Puissants par le nombre et la diversité de nos adhérents. Visibles avec nos prises de position fortes. Et crédibles à travers notre plaidoyer auprès des pouvoirs publics. C’est ce que nous nous efforçons de faire avec Julia Faure depuis plus d’un an et demi.