A Plessé (44), la municipalité a créé sa propre politique agricole commune pour œuvrer au maintien des petites exploitations et assurer une agriculture plurielle et durable. Explications avec Rémi Beslé, premier adjoint en charge de l’agriculture et lui-même exploitant.
The Good : Pourquoi ce prérequis de vouloir maintenir de petites exploitations ?
Rémi Beslé : Plessé a une histoire agricole importante ; une tradition d’entraide collective et nous nous devions d’y travailler, de pérenniser cet ADN. Cette entraide nous a permis de conserver le maximum d’exploitations agricoles sur Plessé.
Il s’agit de préserver un modèle économique. Nous avons beaucoup de CUMA (coopératives d’utilisation de matériels agricoles) et si nous perdons des fermes adhérentes, nous risquons de perdre les outils. Lorsque certains s’agrandissent, le modèle perd de son sens car les propriétaires ont les moyens de s’acheter leur propre matériel seuls. Nous avons besoin les uns et des autres et c’est très bien ainsi. Nous voulons continuer à fonctionner sur ce modèle.
Il est évident que tous ne partagent pas cette opinion dans une société de plus en plus individualiste. Mais la majorité d’entre nous veut travailler à ce « protectionnisme de petites fermes » ; maintenir cet ensemble de petites exploitations. Nous pouvons cependant aussi répondre au besoin d’agrandissement de certains si leur pérennité en dépend. Chaque dossier est étudié.
The Good : Votre ambition et donc de compenser chaque départ par une installation ?
Rémi Beslé : Absolument. Notre travail consiste à pérenniser nos exploitations en assurant les transmissions. Chaque départ doit être compensé par une installation. Nous espérons qu’à la fin de notre mandat, Plessé comptera autant d’exploitations que quand nous sommes arrivés. Pour l’heure, nous en avons 95. Nous avons même gagné deux exploitations depuis 2020 ! Nous avons eu des installations de maraîchers. Et ces nouvelles installations en entraînent d’autres. Nous créons une dynamique et nous avons beaucoup de demandes de jeunes qui veulent venir s’installer à Plessé.
Parmi les 95 exploitations, nous avons 45 élevages dédiés à la production laitière, une vingtaine d’élevage de bovins pour la viande, 3 élevages de moutons, 2 élevages de chèvres, un arboriculteur et une bonne douzaine de maraîchers. Notre idée est de privilégier une agriculture plurielle et durable.
The Good : Comment faites-vous pour éviter que des terres agricoles ne changent d’affectation à la faveur d’un départ?
Rémi Beslé : La municipalité est très attentive aux transactions foncières. Depuis notre élection, nous avons préempté trois fois pour éviter que des terres ne soient transformées en centre équestre, en zone de loisirs ou vendues à prix trop élevés. Nous avons aussi contré un agrandissement abusif.
Lorsque nous pré-emptons, nous le faisons pour un porteur de projet. Nous pré-emptons aussi pour révision de prix. Récemment, nous sommes intervenus dans la vente d’un terrain de 8 hectares que le propriétaire allait vendre à 8000 euros l’hectare à un centre équestre alors qu’habituellement, le prix est aux alentours de 1700 euros l’hectare, sur Plessé.
Dans ce cas précis, le propriétaire a finalement décidé de retirer son bien de la vente. Il a malheureusement préféré laisser les terres en friche. Cela nous a coûté 900 euros de procédure. Et le souci, c’est qu’il peut reproposer son bien dans deux mois… Nous risquons de repartir pour un tour. Pour gérer de possibles pré-emptions, nous avons provisionné 4000 euros sur le budget communal cette année.
The Good : Vous parlez d’une agriculture durable, mais Plessé compte une majorité d’éleveurs bovins… Pensez-vous vraiment qu’il s’agit d’une activité qui peut être responsable ?
Rémi Beslé : Plessé compte 55% de fermes laitières en bio et un peu plus de la moitié de nos éleveurs ne travaillent qu’avec du foin et du pâturage, ce qui préserve la biodiversité et la qualité de l’eau. Ce sont des systèmes très économes en ressources naturelles et pas forcément polluants.
En outre, les éleveurs préservent les haies bocagères, contrairement aux céréaliers qui veulent les supprimer. Lorsque certains agriculteurs arrêtent l’élevage et vont vers le céréalier, on voit le paysage changer. Et pas en bien pour l’environnement ! Il est hyper important de conserver nos élevages, c’est un des axes de travail de notre PAC, ainsi que de garder et respecter les ressources naturelles présentes sur le territoire.
Nous avons travaillé sur un inventaire bocager sur la commune qui nous a permis de figer les bocages sur notre PLU. Il faut à présent obtenir une autorisation de travaux pour les modifier. Nous pouvons alors imposer nos règles de compensation : celui qui veut arracher 100m linéaire de haies doit en replanter 200 m linéaire ailleurs.
Nous travaillons à présent sur un inventaire des mares afin de visualiser sur nos documents cartographiques. Lorsqu’elles seront ainsi figées, il en va de même que pour les bocages. Pour dresser cet inventaire, nous sommes aidés par le Syndicat du bassin Chère don Isac (compétence GEMA). Nous espérons avoir fini fin août. Nous allons solliciter les habitants autour de ce sujet pour créer des groupes chargés de prendre des photos, des relevés, d’évaluer le type de mare, etc. Pour l’instant, nous n’avons qu’une dizaine de personnes qui s’en occupent et il en faudrait le double, a minima, car il y a 234 mares sur la commune.
The Good : Comment faites-vous venir de nouveaux exploitants ? Les sélectionnez-vous ?
Rémi Beslé : Dans notre démarche, nous sommes accompagnés par Cap 44 qui est basée en Loire-Atlantique. Il s’agit d’un réseau de portage de projets.
Dès lors que nous, municipalité, avons connaissance d’une ferme à reprendre à court ou moyen terme, nous communiquons auprès des futurs cédants. Nous avons créé les cafés installation, appelé les plus de 55 ans pour leur demander comment ils ont envisagé l’avenir de leur exploitation, les inciter à préparer leur succession, s’ils ne l’ont pas fait et les inviter à travailler avec nous, municipalité. Entre 2021 et 2023, il y a eu 25 installations et agrandissements pour 25 départs. Objectifs tenus !
Certains préfèrent toutefois travailler avec les Chambres d’Agriculture, c’est leur droit le plus absolu. Elles n’ont pas toujours été très actives sur ce sujet mais je crois que notre action a créé un petit électrochoc et amené une sorte de saine concurrence. Il faut savoir que, syndicalement, Plessé compte une majorité de personnes liées à la Confédération paysanne alors que la Chambre d’Agriculture est plus proche de la FNSEA… Cela met de l’animation !
Lorsque nous recevons des porteurs de projets, nous travaillons sur leur projet car nous avons vu trop de gens arriver et sombrer. Nous voulons que les porteurs de projets soient solides car il en va de la crédibilité de notre action. Il faut aussi qu’ils réalisent que c’est un métier difficile…. Que nous ne sommes pas aux 35H et que les premières années seront ardues sur le plan financier. Nous prévenons… quitte à brosser un portrait un peu sombre du métier, mais il faut vraiment qu’ils aient conscience de ce sur quoi ils s’engagent et qu’ils réussissent. C’est important pour toute la communauté.
The Good : Est-ce que les habitants sont impliqués dans vos actions ?
Rémi Beslé : Ils sont investis depuis l’origine. Nous avons créé un comité agriculture/alimentation/environnement et biodiversité au sein de la municipalité qui travaille avec le maximum d’habitants, les VIP, pour « volontaires investis à Plessé » ! Avec eux, nous avons retracé tout le schéma que l’on voulait mettre en place au niveau de l’agriculture et de notre réflexion commune est sortie l’idée de travailler sur la politique agricole de la commune, la PAC.
Nous sommes partis d’une feuille blanche et nous avons réfléchi à ce qu’est notre agriculture et ce que nous voulons en faire. Nous avons construit notre PAC autour de six grands thèmes pour la préserver et la développer. Le thème phare est l’installation / transmission et que mettre en place pour qu’il y ait des cédants qui veulent bien transmettre leurs exploitations à des jeunes qui arrivent.
The Good : Est-ce que vous, commune, travaillez avec vos agriculteurs ?
Rémi Beslé : Au bout de la chaîne, finalité de notre travail, il y a la création d’une régie directe pour notre cantine, avec notre propre cuisinier, pour le bien-être des enfants et celui du monde économique. Nous avons travaillé durant deux ans avec le Groupement des agriculteurs biologiques du 44 et le Mouvement des cuisines nourricières pour mettre en place cette régie directe.
Nous avons commencé il y a dix mois avec deux cuisinières qui sont chargées de commander au plus près. 50% de la production de la cuisine vient de Plessé. La cantine sert 450 repas par jour. Viande, lait, légumes, pain sont achetés en local. Il manque un peu d’arboriculture mais cela va venir.
J’essaie d’étendre notre modèle à l’agglomération qui compte 31 communes car on se rend bien compte qu’il n’a pas possible de tout faire sur une seule commune, mais il est compliqué d’emmener les autres collectivités et les Chambres d’Agriculture…