(contenu abonné) La Ville de Poitiers a lancé une opération « ordinateurs solidaires » qui permet, grâce à des machines recyclées, de doter les familles en difficulté, demandeurs d’emplois et étudiants. Un projet d’inclusion numérique qui mobilise nombre d’acteurs locaux, comme l’explique Alexandra Besnard, adjointe à l’éducation populaire, aux maisons de quartier et au numérique responsable.
TheGood : De combien d’ordinateurs solidaires parle-t-on et qui en sont les attributaires ?
Alexandra Besnard : A fin décembre 2023, après un an de collecte, nous avions récupéré 352 ordinateurs auprès des entreprises locales et nationales, mais aussi dans nos services de la Ville de Poitiers et de la Communauté de communes du Grand Poitiers. Nous recyclons des ordinateurs qui ne sont plus assez efficaces pour les entreprises, mais largement suffisants pour des particuliers. Nous les faisons reconditionner.
Plus de 150 ordinateurs ont déjà été distribués. Les familles avec enfants scolarisés sont notre première cible. Nous avons ainsi remis 86 ordinateurs à des familles. Mais nous n’oublions évidemment pas de doter les demandeurs d’emploi et les étudiants.
Les attributions sont décidées par notre réseau d’inclusion numérique. C’est un groupe de travail qui réunit les associations partenaires et les maisons de quartiers ; nos vigies sur le territoire, tant pour la détection des besoins des familles avec enfants que sur l’accompagnement. Pour choisir les personnes prioritaires dans le public des demandeurs d’emploi, nous nous appuyons sur les collègues en charge de l’insertion. Et pour les étudiants, avec les universités, le CROUS et les acteurs en capacité d’avoir une vue pertinente sur les besoins. La commission se réunit trois fois par an et décide des attributions.
Le process est carré et nous assurons la traçabilité de toute l’opération. C’est pour cela que les entreprises nous font confiance.
TheGood : Dans quelle cadre s’inscrit cette opération ?
Alexandra Besnard : En mars 2022, le conseil municipal a voté un plan numérique responsable qui comprend trois piliers que sont l’inclusion numérique, le numérique responsable (volet écologique) et la démocratie numérique pour savoir être un citoyen sur le numérique, correct et responsable.
Ce programme est issu d’une convention citoyenne pour le numérique responsable que nous avons organisée avec ma collègue adjointe à la démocratie participative, pour travailler sur l’implication des habitants. En 2021, trente citoyens ont planché pendant plusieurs mois sur ce plan et dégagé les axes importants de travail, puis fait des propositions concrètes qui ont ensuite été passées au filtre de la faisabilité technique, économique et de la cohérence politique. Nous avons lancé les premières actions en 2022.
TheGood : Comment avez-vous recruté les 30 membres de cette convention citoyenne ?
Alexandra Besnard : Ces citoyens ont été recrutés de deux manières : sur un appel à manifestation lancé à la population, d’une part, et sur propositions de nos partenaires disséminés au travers du territoire : maisons de quartiers et associations d’insertion qui travaillent avec des personnes éloignées du numériques. Une fois recrutées, elles les ont ensuite accompagnés dans la démarche.
TheGood : La distribution d’ordinateurs s’inscrit donc dans le plan inclusion numérique ?
Alexandra Besnard : Absolument. En amont de l’élaboration de ce plan, nous avions plusieurs prérequis : avoir accès au signal, à la compétence et au matériel. Nous avons alors sollicité des conseillers numériques mis à disposition par l’Etat et dégagé les moyens nécessaires en complément. L’équipe travaille en lien et en partenariat avec un réseau d’acteurs locaux pour bien articuler nos actions et avoir la réponse la plus pertinente à tous les niveaux du territoire
Lorsque nous avons travaillé sur le pan « accès au matériel », nous avons constaté que nombre de foyers ne sont pas équipés en ordinateurs, or il s’il y a beaucoup de choses qui se font aujourd’hui sur smartphone, il y en a d’autres qui se font sur ordinateur, notamment les devoirs des enfants. Ne pas avoir d’ordinateur à la maison est un frein à l’inclusion et au bon déroulement d’une vie normale.
Une fois ce constat posé, nous avons recherché des ordinateurs. L’objectif étant de ne pas acheter des machines neuves car, en matière de numérique, c’est quand même leur construction qui est la plus polluante.
TheGood : Comment gérez-vous la logistique de cette opération ?
Alexandra Besnard : Nous avons un coordinateur qui sollicite les entreprises. Aujourd’hui, notre démarche est un peu plus connue, aussi avons-nous directement des propositions d’entreprises qui nous livrent des parcs informatiques, bien souvent à la faveur d’un renouvellement.
Nous faisons ensuite reconditionner les ordinateurs que nous prenons en charge. Toujours dans une logique de partenariat et d’appui aux acteurs économiques du territoire, nous avons décidé de les confier à l’antenne locale d’une entreprise de réinsertion, « Territoires zéro chômeur longue durée », qui fait de l’insertion par l’emploi. Cette entreprise dispose notamment d’une activité reconditionnement de matériel informatique.
TheGood : Quel est le coût engendré par toute cette opération ?
Alexandra Besnard : En réalité, nous n’avons chiffré que les coûts directs… pour l’instant. En 2023, nous avons versé une prestation de 6000 euros à Territoires zéro chômeur longue durée et notre objectif, puisque ce partenariat est concluant, est de poursuivre sur cette voie en 2024. Il faut à présent que nous fassions une estimation du coût représenté par toutes les opérations et l’engagement humain. Entre le travail du coordinateur qui anime le réseau, des conseillers numériques et des agents de la collectivité, nous devons arriver à un poste, un poste et demi sur l’année.
Cette opération a un coût mais aussi des retombées économiques. Nous soutenons ainsi l’association de réinsertion qui, en 2023, a créé 70 postes et qui va en créer 40 de plus en 2024.
TheGood : Et au-delà, avez-vous le sentiment d’avoir initié un mouvement ?
Alexandra Besnard : L’opération « ordinateurs solidaires » est une démarche hyper intéressante qui emmène beaucoup de mes collègues de la mairie, les maisons de quartiers de la ville et nombre d’acteurs locaux.
Nous sommes certes sur une réponse apportée à un besoin, mais surtout, nous avons créé une émulation territoriale. C’est d’ailleurs, à mon sens, le rôle d’une collectivité que de bien connaître son territoire et ses concitoyens pour bien l’animer.