The Good : Comment avez-vous fait de Courbevoie la première ville mondiale de lutte contre le gaspillage alimentaire ?
Arash Derambarsh : En 2020, le maire de Courbevoie, Jacques Kossowski, m’a nommé adjoint au maire en charge du développement durable et nous avons mis en place un programme sur six ans pour lutter contre le gaspillage alimentaire. C’est un sujet en faveur duquel je bataille depuis des années et sur lequel j’ai déjà remporté plusieurs victoires (NDLR : Arash Derambarsh est à l’origine de la loi de 2016 contre le gaspillage alimentaire et a remporté de nombreux prix internationaux dont le « WIN WIN Gothenburg Sustainability Award en 2019 », équivalent du Nobel pour le développement durable) .
A Courbevoie, notre objectif était de rallier tous les acteurs de l’alimentation de la ville afin que tous les invendus, absolument tous, soient redistribués. En cinq ans, nous avons embarqué les supermarchés, la restauration hospitalière, la restauration scolaire et les commerces de bouche (boulangerie, restaurants, marché).
Et en ce mois de novembre 2024, nous signons une charte avec les maisons de retraite et Ehpad.
The Good : Le premier pas a été fait avec les supermarchés, sans limite de superficie?
Arash Derambarsh : Une première charte contre le gaspillage alimentaire a été signée en 2020 avec les hyper, supermarchés et supérettes de la ville. Effectivement, nous avons été au de-là des limites de la loi de 2016 qui ne contraint que les supermarchés de plus de 400m2 de surface de vente.
A Courbevoie, nous avons une quarantaine d’hypermarchés, supermarchés et supérettes, dont les deux tiers font moins de 400m2. La charte a été signée par tous et tous jouent le jeu.
Notre objectif est de démontrer que même les magasins de moins de 400m2 peuvent s’engager sur cette voie. Le seuil des 400m2 de la loi anti-gaspillage de 2016 avait été fixé par crainte de déstabiliser les petits supermarchés, au motif qu’ils n’ont pas la logistique pour s’organiser. L’objectif est de démontrer qu’ils le peuvent, si les collectivités et les élus locaux s’impliquent.
Et je vous annonce que la loi va être modifiée d’ici à la fin de l’année pour concerner les établissements de plus de 200m2, grâce aux soutiens du ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, et de la sénatrice Marie-Do Aeschlimann. Ce qui va nous permettre de toucher 5 000 nouveaux points de vente. Ce sera une réponse directe à l’appel des Restos du cœur, le Banque Alimentaire et de la Croix Rouge qui reçoivent, avec les associations caritatives, moins de dons.
The Good : Tous ces magasins sont donc parvenus à mettre en place la logistique ad-hoc ?
Arash Derambarsh : 90% de nos établissements n’avaient pas la logistique adaptée. Ils n’ont pas de partenariats avec des associations caritatives et beaucoup d’associations caritatives n’ont pas la logistique nécessaire pour acheminer les denrées et les distribuer en temps et en heure, notamment pour assurer la chaîne du froid. Nous les avons aidés afin de développer la distribution immédiate et permettre au plus grand nombre de participer à la solidarité et la fraternité. Nous leur avons permis de développer un partenariat avec des startups telle Phoenix, Fullsoon ou Linkee, qui trouvent les associations et acheminent les invendus aux associations caritatives, qui aident les étudiants et apportent des solutions aux commerces de bouche.
Les startups s’assurent notamment de ne pas rompre la chaîne du froid, ce qui est le plus compliqué.
The Good : Et qui finance ces startups ?
Arash Derambarsh : Ce sont les magasins qui financent la startup, mais ils bénéficient ensuite d’une défiscalisation. Ce système coût 0 euro à la collectivité et au contribuable.
The Good : Vous avez ensuite tapé à la porte des autres acteurs…
Arash Derambarsh : La deuxième charte a donc concerné la restauration hospitalière. A Courbevoie, nous accueillons un établissement du Centre Hospitalier Rives de Seine et nous avons signé un partenariat avec la présidente de la structure, Madame Valérie Pons Prêtre.
La troisième année, nous avons signé une charte avec la restauration scolaire, sur toutes les écoles de la commune : il y en a une quarantaine, de la crèche et écoles. Dans les cantines, nous avons également installé des tables de tri. Les enfants pèsent leurs déchets alimentaires et les trient. Nous avons également pour objectif d’instaurer un système de « doggy-bags » qui va permettre aux agents municipaux de récupérer les restes alimentaires non périssables, les produits secs. Le périscolaire est également concerné. Nous sensibilisons ainsi 12 000 enfants à la lutte contre le gaspillage alimentaire !
La quatrième charte, signée en novembre 2023 et applicable depuis janvier 2024, concerne les commerces de bouche (marchés, boulangeries, restaurants, etc.). Nous fédérons l’intégralité d’entre eux.
Et en ce mois de novembre 2024, nous allons signer une charte avec les Ehpad et les maisons de retraite. Il y a neuf établissements sur la commune.
400 000 repas sauvés avaient été sauvés en février dernier, aujourd’hui nous en sommes à près de 450 000. L’objectif est de sauver 500 000 repas d’ici à 2025.
The Good : Vous avez annoncé un programme bâti sur six ans : que « contient » la dernière année de travail ? Et quelles suites y seront données ?
Arash Derambarsh : L’objectif était de mettre sur pied une organisation structurée les cinq premières années et de la promouvoir la dernière année du mandat. C’est ce qui sera donc le cas.
Nous organisons une très grande conférence internationale avec l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) le vendredi 31 janvier 2025 à Courbevoie. De nombreux prestigieux invités seront présents. Et toute cette année 2025 sera consacrée à promouvoir ce travail.
The Good : Avez-vous prévu de travailler avec les entreprises installées sur la commune et dont certaines disposent certainement d’un restaurant ?
Arash Derambarsh : Oui absolument. Paris La Défense a déjà entamé un travail intéressant mais il faut fédérer tous les acteurs. Pour le prochain mandat, très certainement et à une plus grande échelle, régionale ou nationale, très probablement.
The Good : Comment les Nations-Unies ont-elles eu vent de ce qui se fait à Courbevoie ?
Arash Derambarsh : En février dernier, sur mon invitation, les agents de la FAO se sont déplacés à Courbevoie pour découvrir notre travail. Ils ont tout inspecté et nous ont désigné Green city, nous sommes la première ville française à obtenir cette distinction internationale.
The Good : Et concrètement, à quoi pensez-vous que va servir cette distinction ?
Arash Derambarsh : Notre distinction sert à montrer le chemin aux autres communes françaises. Nous sommes dans la preuve par l’action, dans l’exemple. L’objectif est de décliner ces chartes partout en France. S’il y a un argument, c’est que cela coûte 0 euro au contribuable. C’est le fruit d’une volonté politique. Mais surtout, cette action apporte une réponse concrète à un problème structurel actuel : il y a plus de 10 millions de pauvres en France, soit 14% de la population qui est en dessous du seuil de pauvreté. Et en face, on a 10 millions de tonnes d’aliments gaspillés ; l’équivalent d’un stade de France rempli de déchets alimentaires qui sont jetés chaque année.
D’après le Project Drawdown (2020) et le rapport du GIEC (avril 2022), réduire le gaspillage alimentaire permettrait, d’ici à 2050, et si nous le réduisons de 50%, une réduction de 87,4 gigatones de CO2e dans l’atmosphère et constituerait donc l’action la plus impactante et immédiate que nous puissions mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique. Autrement dit, la réduction du gaspillage alimentaire est l’une des trois principales solutions pour lutter contre le réchauffement climatique. Nous ne dirons pas que nous n’étions pas informés.