(contenu abonné) Co-fondateur de Picture Organic Clothing avec ses amis Vincent André et Jérémy Rochette, Julien Durant raconte la fabuleuse histoire de cette marque outdoor née en 2008 à Clermont-Ferrand, certifiée B Corp depuis 2019 et qui pèse 50 millions d’euros aujourd’hui.
The Good : Quelle est votre plus grande fierté depuis l’année de création de Picture en 2008 ?
Julien Durant : Ma plus grande fierté est d’être encore là tous les trois, toujours indépendants dans cette entreprise et de toujours s’entendre avec une vision commune. On l’a créé sur un socle hyper solide basé sur des valeurs que l’on revendique toujours et qui incarne sa raison d’être : « Rider, protéger et partager ». Notre vision : l’amusement, le partage (avec une dimension très communautaire) et la protection de l’environnement avec une mission qui a évolué depuis la création de Picture. Nous souhaitons proposer une alternative durable et accessible et encourager les pratiquants d’aventures et de sports extérieurs. « Picture » vient d’une vidéo de snowboard culte que l’on regardait tous les trois (fondateurs) adolescents qui s’appelait « Picture This ». Notre marque est à la croisée de Burton et Patagonia.
The Good : Qu’est-ce que la certification B Corp obtenue en 2019 a changé dans l’entreprise et pour vos parties prenantes ?
Julien Durant : La certification B Corp a été hyper structurante pour notre entreprise. En effet, la stratégie de Picture de 2008 à 2018 était une stratégie essentiellement basée sur le produit. Nous cherchions à limiter l’impact de ce dernier, à le rendre plus propre, d’utiliser le moins de pétrole/ d’énergie fossile. Avec le label B Corp, nous avons eu une prise de conscience que l’engagement ne se limitait pas uniquement aux produits, mais qu’il concernait aussi les salariés, les fournisseurs avec une dimension sociale et éthique, la transition énergétique globale, toute la chaîne de valeur, la gouvernance d’entreprise, l’équité hommes/femmes, la politique handicap. Ça nous a permis de remettre sur un pied d’égalité les enjeux du rôle sociétal de l’entreprise, en complément de ceux liés au business. En nous interrogeant, le questionnaire B Corp nous a permis de nous remettre en question et de réengager nos salariés. Et comme il y a un score à atteindre et à renouveler tous les trois ans, cela donne une ambition collective pour nos 90 collaborateurs. Justement, notre équipe a doublé durant les trois dernières années, il a fallu sensibiliser les nouveaux entrants. Notre directeur RSE, Florian Palluel, organise des formations tous les trois mois pour embarquer les équipes. Les RH se sont aussi impliqués pour diffuser nos engagements dans la culture de l’entreprise. Chaque employé a désormais un engagement développement durable sur lequel il est évalué dans son entretien annuel. Par exemple, nous demandons à nos commerciaux export de réaliser 5 trajets sur 10 en train. Maintenant, ce sont mêmes nos salariés qui nous challenge pour aller encore plus loin.
The Good : Quelle action de développement durable est la plus difficile ? Pourquoi ?
Julien Durant : Nous travaillons sur cette problématique depuis 2015 : c’est de produire moins mais mieux. Nous sommes dans une industrie de volume où uniquement la croissance volumique amène du développement à l’entreprise. Or ça engendre de plus en plus d’extractions de matières premières pour produire ce volume. Ce qui nous met dans une difficulté d’être une entreprise qui se revendique sobre et d’aligner notre discours avec des actes concrets. Donc nous essayons des nouveaux services : de location, de seconde main, même si ces derniers ne sont pas encore adoptés par nos clients. Nous essayons de maintenir un modèle économiquement viable tout en limitant l’extraction de matières premières et en sortant de cette dépendance au volume de production. Nous travaillons par exemple avec Lizzi, notre prestatire en marque blanche pour nos services de location de nos produits techniques.
The Good : Comment éco-concevez-vous vos produits ?
Julien Durant : Nous avons plusieurs phases : tout d’abord le choix de tes matières premières. Sur ce point, nous avons évolué en passant de coton biologique ou polyester recyclé vers des matières biosourcées non issues du pétrole mais issues de déchets de cannes à sucre. Nous fabriquons ainsi des fils vierges dans un environnement où, on le sait tous, il y a suffisamment de déchets pour nourrir pendant 30 ans les besoins en textiles de la planète.
Ça nous a amené à réfléchir à notre propre industrie pour recycler nos propres produits. Impossible pour Picture d’inventer un outil industriel. Nous nous appuyons sur des industriels géants pour collaborer ensemble pour faire évoluer notre industrie : Patagonia, Decathlon. Nous travaillons avec un industriel chinois, Jiaren, chargé de la collecte de vêtements polyester, synthétiques, de travail aussi, pour en extraire des fils polyester issus d’un recyclage de ces produits post consommation.
De nos jours, 85% de nos produits sont issus de ces matières recyclées de produits post-consommation et 15% sont conçus avec un mix de matières recyclées à partir de bouteilles en plastiques parce que certains fils ne peuvent pas encore être produits en termes de qualité et de propriétés (d’élasticité par exemple) sur la base de produits post-consommation. Nous souhaitons donc inscrire notre modèle dans une démarche qui exploite les déchets qu’elle génère.
Et puis, il y a la notion de réparabilité. Désormais nous offrons la réparabilité à vie de nos produits depuis trois mais qui est rétroactive sur tous les produits de la marque. Nos designers sont formés pour concevoir tous les produits différemment pour qu’ils puissent être réparables.
The Good : Quels sont vos prochains défis ?
Julien Durant : Nous avons réussi à transformer notre modèle pour qu’il soit contributif, comprenant des objectifs de performance globale, d’ambition sociétale, de stratégie RSE au comex dépassant les obligations légales. C’est au-delà du modèle « responsable » qui intègre les principes de la RSE, cherche à réduire ses impacts négatifs, se conforme aux règles, vise les normes ISO et dont la direction RSE a des pouvoirs limités.
Nous voulons tendre vers un modèle régénératif, idéaliste mais réalisable à 50% pour nous comme un but pour 2030 : carbone net positive et contributions holistiques positives, il répare, restaure, régénère les conditions du vivant, fait alliance avec le vivant en étant « nature positive », le modèle économique est transformé, la croissance n’est plus un objectif en soi, il est question de renoncement et de prospérité. Ici tu donnes plus à la Nature que tu lui prends. Nous ne croyons pas au mode techno-solutionniste !
Nous voulons que notre business repose sur 50% de la vente d’usages et 50% de nos produits issus de matières recyclées et conçus dans des usines fonctionnant aux énergies renouvelables. Et nous ne voulons pas compter sur la techno pour changer les choses.
Notre autre défi est l’enjeu humain qui est en perpétuel mouvement au sein de Picture, car ce n’est pas simple de manager et d’embarquer tout le monde dans la conduite du changement.
A 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, notre PME Picture ne pourrait rien faire toute seule. Notre premier concurrent c’est Volcom qui réalise 200 millions d’euros de CA et Patagonia à 1 milliard d’euros de CA. Or, nous avons de la chance de pouvoir compter sur une grande coopération dans l’outdoor (contrairement à la mode), nous sommes en avance sur notre temps sur ce point. Par exemple, avec Decathlon, nous avons ensemble transformé une usine turque pour qu’elle fonctionne à 100% à l’énergie solaire.
Nous faisons partie de l’association European Outdoor Group qui fédère plusieurs marques autour de projets de transformation durable, par exemple sur la transition énergétique de nos cinq plus gros fournisseurs. Nous sommes convaincus que l’intelligence collective et la coopération sont clés pour réussir la transition écologique de notre secteur.