Lors de la conférence USI, Aurore Stéphant, ingénieure géologue minier spécialisée dans les risques sanitaires et environnementaux des filières minérales, a fait une intervention remarquée. Elle a pointé du doigt les coûts humains et environnementaux des matières premières utilisées pour les technologies numériques ainsi que dans le développement des énergies dites “vertes”… Son message : les limites ne pourront pas être éternellement repoussées, un changement de modèle s’impose.
Au sein de l’association SystExt (Systèmes extractifs et environnements), Aurore Stéphant milite pour la transformation des systèmes extractifs et la réinvention de nos rapports aux matières premières minérales et énergétiques. Le but ? Tendre vers des modèles respectueux de l’Homme et de l’environnement. La démarche est avant tout pédagogique : elle commence par un rappel des dures réalités du secteur et de ses limites physiques…
Une extraction coûteuse pour l’environnement
“Vous avez des substances qui sont assez abondantes sur la croûte terrestre : l’aluminium, le fer, le magnésium, le titane et le manganèse. En dehors de ces cinq substances, nous sommes en présence de concentrations très faibles”, explique Aurore Stéphant. Or, nos appareils électroniques, leurs batteries et leurs composants nécessitent de nombreux métaux rares, tels que le platine, l’or, le cuivre ou le nickel… En 2017, SystExt avait ainsi analysé la composition d’un smartphone : 52 substances différentes étaient contenues en moyenne dans chaque terminal. Et dans un véhicule électrique, ce sont au moins 75 substances qui sont nécessaires à sa production, en particulier pour ses batteries.
Pour extraire ces substances, des procédés longs et complexes, mais surtout polluants, coûteux en eau et en énergie, et générateurs de déchets, sont nécessaires. “On estime qu’une mine moyenne d’or consomme autant d’eau par an que 80 000 habitants en France. En termes d’électricité, on estime que c’est autant d’électricité que 31 000 foyers français…” Et de souligner : “la mine ne se résume pas à la partie de l’extraction. Ce c’est que le début : à cette étape, vous êtes très très loin d’avoir obtenu le métal dont vous avez besoin. Il faut avoir en tête que 80% de la dépense énergétique d’un site minier est représentée par le broyage.”
Ce coût énergétique n’est pas le seul impact de l’industrie minière, loin de là. “À chaque étape, on va générer des quantités de déchets considérables. L’industrie minérale est le premier producteur de déchets solides, liquides et gazeux, tous secteurs industriels confondus.” Ces déchets n’ont rien d’anodin et ne se dégradent pas avec le temps : ils sont toxiques, et ce, à très long terme. Cette pollution générée par ces déchets qui s’accumulent s’ajoute à la dégradation des milieux naturels liée à la mine en elle-même, ainsi qu’aux émissions de CO2 et de dioxyde de soufre provoquées par son exploitation.
“Plus le temps avance, plus les teneurs diminuent, plus les impacts augmentent”
Pour ne pas arranger les choses, “les gisements facilement exploitables, c’est-à-dire ceux qui étaient proches de la surface et qui étaient riches, sont de moins en moins nombreux. En outre, les minerais qu’on exploite sont de plus en plus complexes : ils sont de plus en plus difficiles à traiter, il faut de plus en plus de produits chimiques, de plus en plus d’eau, de plus en plus d’énergie, broyer toujours plus fin…” Une quantité croissante de minerais se montrent même “réfractaires”, c’est-à-dire qu’ils résistent aux acides habituellement utilisés pour les extraire.
Le constat est sans appel, et particulièrement inquiétant : “plus le temps avance, plus les teneurs diminuent, plus les impacts augmentent.” Selon l’International Resource Panel, ces impacts sont même exponentiels, à mesure qu’on se rapproche des limites physiques liées à l’extraction de certains métaux, comme l’or. “On n’arrive pas à infléchir la courbe, contrairement à ce qu’on pourrait croire en écoutant beaucoup de discours qui sont extrêmement rassurants et disent que maintenant on a des technologies révolutionnaires.”
Quelles solutions à l’horizon ?
La situation devrait encore empirer, à mesure qu’augmente la demande pour les énergies renouvelables et les véhicules électriques, grands consommateurs de métaux et substances minérales – annulant ainsi tout l’intérêt de ces technologies considérées comme “vertes”.
Alors que la transition énergétique n’en est qu’à ses débuts, le phénomène d’accélération est déjà bel et bien en route : “entre 2002 et 2015, on a extrait autant de matière que tout ce qui avait été extrait depuis 1900” explique l’ingénieure, qui s’oppose à toute notion de “croissance verte”. “Selon le Programme de Développement des Nations Unies, ces dix dernières années, la production métallique a crû plus vite que la croissance économique. Il n’y a pas de croissance verte : pendant que tout le monde parle de dématérialisation, de cloud, de virtuel, il y en a qui triment derrière.”
Pour tenter de réduire les impacts d’une industrie qui s’avère incontournable pour le numérique et la transition énergétique, SystExt milite pour un changement en profondeur des pratiques dans les filières minérales, avec davantage de transparence et de traçabilité chez les différents acteurs de la chaîne de valeur. Mais face aux limites physiques de l’accès aux ressources, la prise de conscience doit être bien plus large.
L’association appelle ainsi à changer de paradigme dans notre rapport aux métaux, ce qui passe par l’interdiction du gaspillage métallique, le développement de conception véritablement sobre et low-tech, la limitation des fonctionnalités des appareils, la lutte contre l’obsolescence, l’investissement massif dans les filières de recyclage ou encore l’encouragement de la réutilisation et de la recyclabilité des appareils…
De telles mesures seront-elles suffisantes ? Non : un changement de modèle de développement s’impose également, toujours selon Aurore Stéphant. “Le recyclage, ça ne doit être qu’en dernier recours. Avant, c’est la réutilisation et l’augmentation de la durée de vie”, ainsi que la “dénumérisation de la société”, explique-t-elle, avant d’ajouter : “il n’y a pas d’alternative : la seule solution c’est de diminuer les métaux partout où c’est possible, partout où leur usage n’est pas nécessaire. »