Olivia Grégoire est entrée au gouvernement il y a un an jour pour jour. Après avoir défendu la Loi Pacte en tant que Députée, elle porte la voix de l’Economie Sociale, Solidaire et Responsable. Le temps des preuves et des actes, pour celle qui lançait fin mai la plateforme impact.gouv.fr et prépare activement la Présidence française de l’Union Européenne afin d’y apporter sa vision d’une plus grande responsabilisation du capitalisme. The Good est allé à sa rencontre, à l’occasion de l’annonce du haut patronage de son ministère au Grand Prix de la Good Economie.
The Good : Vous avez récemment lancé la plateforme Impact.gouv.fr. Quels en sont les objectifs ? Comment cela s’inscrit-il dans l’écosystème de la mesure d’impact et des labels ?
Olivia Grégoire : Il y a une réglementation qui arrive, à laquelle les entreprises doivent se préparer, et le rôle de l’État est de les y aider en créant les outils et l’environnement nécessaires. Plutôt que de laisser les entreprises se débattre avec les futures obligations extra-financières, je veux les aider à se battre. Pendant 9 mois, avec mon équipe, et en co-construction avec les entreprises, nous avons fait un gros travail, allant de la définition et l’alignement sur les 47 indicateurs proposés jusqu’à l’ergonomie de la plateforme et sa communication.
Cette plateforme c’est en quelque sorte le centre d’échauffement de l’impact, pour que toutes les entreprises puissent avoir un lieu où s’acculturer aux critères ESG (environnementaux, sociaux, et de bonne gouvernance), comprendre les tenants et aboutissants des nouvelles réglementations, et aussi s’exercer à commencer à publier une partie de leurs données extra-financières.
Elle a deux grands objectifs : premièrement, être un hub de ressources, de « savoir-faire », car il y a de multiples indicateurs et réglementations – des ODD aux indicateurs de l’OCDE, différents labels, certains sectoriels, différentes certifications, beaucoup d’outils et de connaissances à partager. Mois après mois, nous allons enrichir les ressources documentaires, les approches, pour que les entreprises puissent avoir accès à ce qui se fait, ce qui se dit, sur ce champ extra-financier qui est le sens de l’histoire, que l’on l’appelle impact, ESG ou responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Deuxièmement, cette plateforme a vocation à « faire savoir », ce que les entreprises font déjà en matière environnementale, sociale et de bonne gouvernance, indépendamment des réglementations à venir.
« Il y a une réglementation qui arrive, à laquelle les entreprises doivent se préparer, et le rôle de l’État est de les y aider en créant les outils et l’environnement nécessaires ».
The Good : Quels sont les premiers enseignements que vous en tirez ? Quelles sont les prochaines étapes ?
Olivia Grégoire : Nous avons lancé cette plateforme le 27 mai dernier avec 100 entreprises pionnières, dont nous rendons publiques le 20 juillet, pour celles qui l’ont souhaité, les jeux de données brutes. Dès la rentrée, d’autres données seront libérées, avec pour ambition d’atteindre d’ici la fin de l’année 1000 entreprises publiant des données sur impact.gouv.fr. D’un point de vue opérationnel, cette plateforme permet aux entreprises de « dégonfler » leurs peurs face aux indicateurs. Elles se rendent souvent compte qu’elles disposent déjà de nombreuses données. Rien de tel qu’un exercice dans le réel pour désamorcer les appréhensions. Nous constatons aussi que plus des 2/3 des contributions sur la plateforme viennent de TPE et PME, ce qui permet de souligner non seulement que la performance extra-financière n’est pas l’apanage des grands groupes cotés, mais en plus que ce service répond sinon à un vrai besoin.
Dès la rentrée, nous ferons évoluer la plateforme. Les entreprises sont très désireuses de pouvoir bénéficier d’outils d’accompagnement et d’autodiagnostic pour mesurer leur performance individuelle et les progrès réalisés. Celles qui le souhaitent pourront donc accéder à leur propre tableau de bord et voir comment évolue leur impact environnemental, social et de gouvernance.
The Good : Comment faire pour que les entreprises françaises saisissent pleinement ce besoin de transformation de leurs activités ?
Olivia Grégoire : On a tout d’abord le plan de relance, dont au moins 30 milliards d’euros seront dédiés uniquement à la transition. Tout l’enjeu est de passer des paroles aux actes, des mots aux preuves : c’est ce qu’attendent les consommateurs, les investisseurs, les épargnants, les salariés. L’incantation du Good ne fait pas avancer les choses. Le temps du Good déclaratif est à son crépuscule. L’impact, l’extra-financier, c’est le POC (proof of concept), la preuve du Good. Toute mon action depuis 2017, c’est l’engagement des entreprises sur l’action. Avec la loi Pacte j’ai créé des outils, notamment l’entreprise à mission, la raison d’être. Avec la plateforme impact.gouv.fr, j’encourage les entreprises à passer à une logique de preuve : « montrez, avec des faits et des chiffres étayés, que la déclaration de votre mission ou de votre raison d’être est fondée de façon tangible ».
The Good : Vous portez régulièrement la voix de l’économie responsable au niveau européen. Comment la France se positionne-t-elle par rapport aux autres pays européens ? Est-elle en avance/ en retard ?
Olivia Grégoire : La France n’a pas, parmi ses caractéristiques, d’avoir toujours confiance en elle. S’il y a un sujet sur lequel il faut que l’on croie en nous, c’est l’impulsion que l’on donne depuis 2017, avec le Président de la République, à la nécessité de moderniser et d’adapter notre capitalisme aux nouveaux enjeux de responsabilité. La France est une locomotive en matière de responsabilité sociale des entreprises. Par exemple la plateforme Impact : il n’y a pas un pays en Europe qui a fait ce qu’on a fait !
Comme le dit Paul Eluard, « il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». Ce n’est pas un hasard si les accords de Paris s’appellent les accords de Paris. Ce n’est pas un hasard si la première puissance mondiale à avoir émis des social bonds en 2017, c’est la France. Ce n’est pas un hasard non plus si depuis 2014, et la directive européenne sur la RSE (Non Financial Reporting Directive), beaucoup d’entreprises françaises publient leurs informations extra-financières sans y être contraintes. Et ce n’est donc pas un hasard si aujourd’hui, aux côtés de nos alliés européens, la France cherche à créer un effet d’entraînement ambitieux en matière de responsabilisation du capitalisme.
Et ce n’est donc pas un hasard si aujourd’hui, aux côtés de nos alliés européens, la France cherche à créer un effet d’entraînement ambitieux en matière de responsabilisation du capitalisme.
The Good : La France prendra le 1er janvier 2022 la Présidence de l’Union Européenne. Quels sont les sujets en matière d’économie responsable que vous porterez pendant cette présidence ?
Olivia Grégoire : Il appartiendra au Président de la République d’annoncer les priorités de la Présidence de l’Union européenne. Sur le plan de l’économie responsable, nous travaillons depuis un an sur deux sujets majeurs. Le premier, c’est le projet de directive CSRD – pour Corporate Sustainability Reporting Directive – qui a pour enjeu de faire en sorte que l’Europe puisse bâtir son standard européen en matière de performance extra-financière, par la considération de l’impact environnemental, social et de gouvernance des entreprises. C’est un enjeu de souveraineté : nous ne pouvons pas envisager de déléguer la création d’une telle norme à une puissance non-européenne, car nous souhaitons que cette norme incarne le modèle européen. C’est à l’Europe, aux États membres, de dire quels sont les axes majeurs pour eux, au plan environnemental, social, et de gouvernance qui caractérisent ce modèle. Nous aimerions que ce sujet aboutisse durant la Présidence française.
Deuxième sujet : mettre en place un devoir de vigilance européen raisonné et raisonnable. Le devoir de vigilance vise à assurer l’alignement entre le produit responsable et la conduite de l’entreprise qui le produit. Quelle serait la conséquence d’un produit écologiquement responsable, mais qui aurait par exemple, était assemblé par des enfants ? Le devoir de vigilance c’est faire respecter les droits humains fondamentaux dans toute la chaîne de valeur, quel que soit le rang des fournisseurs. Si nous ne le faisons pas, ce sont les entreprises elles-mêmes qui risquent d’être condamnées sans médiation par les tribunaux, comme par exemple Shell aux Pays-Bas.
The Good : Le Ministère apporte son soutien, par un haut patronage, au Grand Prix de la Good Économie. Quelles sont vos motivations à soutenir ce prix ?
Olivia Grégoire : Soutenir les entreprises engagées, c’est le sens de l’histoire. Mettre en avant des entreprises pionnières, avant que la réglementation ne les y contraigne, c’est d’abord avoir à leur endroit une reconnaissance légitime, mais c’est aussi, à partir de leur engagement, essayer de créer un effet d’entraînement, pour embarquer plus d’entreprises. C’est avec plaisir et honneur que le ministère soutient ce grand prix.
L’engagement des entreprises répond à des attentes de plus en plus prégnantes des citoyens-consommateurs. Comme le rappelle le baromètre de l’Ademe paru en juin dernier, pas moins de 72 % des Français sont mobilisés en faveur d’une consommation plus responsable. Cette exigence impacte la production des entreprises : nous cherchons tous, en questionnant la traçabilité, la provenance, à savoir dans quelle mesure le produit a été fabriqué dans une dynamique responsable. Au-delà des consommateurs, nous avons des investisseurs qui, par la régulation, et notamment européenne (cf. le règlement SFDR de mars 2021) regardent de plus en plus la performance extra-financière, l’empreinte ESG de l’entreprise, bien au-delà de la seule question du prix.
Soutenir les entreprises engagées, c’est le sens de l’histoire.