Pascal Demurger publiait en 2019 un livre manifeste « L’Entreprise du 21è siècle sera politique ou ne sera plus ». Alors que dans toutes les entreprises la prise de conscience de l’urgence écologique et sociale s’accélère, ses propos et sa vision sur l’engagement de l’entreprise sont plus que jamais d’actualité. Il a entamé son chemin vers le Good il y a presque 10 ans. The Good a souhaité recueillir son expérience de la transformation – qu’il nous partage avec humilité et sincérité – et qui a conduit Maif à devenir l’an dernier Entreprise à mission.
Deux années après la publication de votre livre « L’Entreprise du 21è siècle sera politique ou ne sera plus », vos propos sont plus que jamais d’actualité. Pouvez-vous rappeler aux lecteurs de The Good votre vision de l’entreprise engagée ?
Pascal Demurger : L’objet de mon livre est de construire un modèle d’entreprise qui réconcilie performance économique et engagement de l’entreprise. La performance économique, on ne peut pas s’en passer car en tant que chef d’entreprise il faut assurer sa pérennité, et sans rentabilité, il ne peut y avoir pérennité. Quant à l’engagement au bénéfice de la société, sur les sujets environnementaux, sociaux, sociétaux, cela n’aurait pas de sens si l’entreprise n’était pas engagée à l’égard de ses parties prenantes, ses clients et ses salariés. Je suis convaincu que si on fait les choses intelligemment et sincèrement, c’est une source de performance.
The Good : Quel a été votre point de bascule vers la conciliation de la performance économique et de l’engagement de l’entreprise ?
Pascal Demurger : Quand je suis arrivé à la MAIF en 2009 j’avais une conception très classique de l’entreprise – qui doit être rentable, faire de la croissance – et du management. Comme souvent dans les situations où vous n’avez pas d’expérience personnelle, on se réfère au modèle dominant, en l’occurrence à l’époque, celui du management hiérarchique et d’un pilotage autour de la productivité et de l’efficacité opérationnelle, etc. Ce n’est que progressivement que j’ai compris qu’il y avait autre chose de plus intelligent à faire. L’horizontalisation de la société née du digital m’a fait prendre conscience que l’entreprise ne pouvait plus être un îlot de verticalité.
D’un point de vue interne, deux phénomènes ont été décisifs. Le premier c’est le jour où j’ai mesuré l’impact de la décision de regrouper les équipes de vente et gestion des sinistres dans des grands plateaux téléphoniques. Une conséquence que l’on n’avait pas anticipée est que la recherche d’efficacité nous faisait perdre en qualité de la relation client. J’ai alors pris conscience de la symétrie entre management et relation client, et de la nécessité de travailler sur le 1er pour améliorer la seconde.
A cette même époque, j’ai été frappé de la confrontation régulière entre respect de l’éthique, très ancré dans la culture interne, et la question de l’efficacité et de la performance. Et cela se soldait par un compromis qui n’était satisfaisant ni au plan de la performance, ni au plan de l’éthique. C’est à ce moment-là que je me suis dit « il faut que l’on renverse la table », passer d’un système d’opposition systématique à un système où les deux se nourrissent.
The Good : Comment cela s’est traduit d’un point de vue managérial ?
Pascal Demurger : Il fallait créer une communauté humaine respectueuse des personnes, qui donne du sens au quotidien, à la fois un sens global pour l’entreprise – je contribue à un collectif, puissant, qui me motive – et donner à chacun la perception de sa propre contribution à cette mission globale.
Cela passe par la création d’un cadre de travail qui accorde une totale confiance aux salariés, qui laisse place à l’autonomie pour trouver des solutions aux problèmes qui se posent, et une relation reposant sur l’attention portée à l’autre. Ces éléments donnent une entreprise dans laquelle les gens sont épanouis, s’accomplissent dans leur travail. Je crois beaucoup que le travail, qui occupe une place importante dans notre vie, doit être une source de réalisation de soi et non une source de contrainte et de détresse.
Nous avons aujourd’hui un taux de fidélisation de nos collaborateurs très élevé et j’ai vu évoluer, depuis mon arrivée, l’attractivité de la marque employeur MAIF. Notre taux d’absentéisme a baissé de 25% depuis que nous avons mis en place le management par la confiance (2015). Et je reçois régulièrement des témoignages de fierté de nos salariés.
Si vous vous intéressez de manière sincère aux collaborateurs, si vous en faites l’objectif prioritaire du management, ce que vous obtenez c’est un niveau d’engagement collectif très élevé, qui se fait dans l’envie et la motivation. Et cela va se traduire dans la relation avec les autres, et notamment les clients. Quand vos collaborateurs partagent les mêmes orientations stratégiques que l’entreprise, ils deviennent les meilleurs ambassadeurs de la marque.
The Good : Et d’un point de vue commercial ?
Pascal Demurger : De la même manière que l’épanouissement des collaborateurs doit être un objectif prioritaire du management, d’un point de vue commercial, l’objectif n°1 est le service de l’intérêt du client, même au détriment de l’intérêt court terme de l’entreprise.
Concrètement, cela veut dire qu’un conseiller MAIF va vous orienter vers tel contrat qui est moins cher car cela suffira à couvrir votre besoin, ou recommander de fermer un contrat inutile. In fine, cela se matérialise dans un taux de satisfaction et de fidélité de nos sociétaires incomparable avec les chiffres du marché. C’est une source d’économie gigantesque au regard du coût d’acquisition d’un client. C’est un modèle qui est plus satisfaisant, pour tout le monde.
The Good : Comment votre vision de l’engagement de l’entreprise a-t-elle traversé la crise ?
Pascal Demurger : Moins on sait où l’on va, plus il faut se référer à de grands principes, à des lignes directrices. J’en avais deux pour la crise : la première, évidente et universelle c’était la priorité de protéger tous nos salariés, une protection physique et financière.
Le second principe était de se dire que quoi qu’il arrive, il était hors de question de tirer un quelconque bénéfice de la crise. D’où la décision très rapide (fin mars 2020) de rembourser nos sociétaires du montant de la prime d’assurance correspondant aux économies faites pendant le confinement – soit 100 millions d’euros. Cela s’est imposé avec la force de l’évidence. C’était un moment fort, ce moment où l’on sent par la réaction des uns et des autres que l’on a pris la bonne décision.
Depuis le mois de juin 2020, nous avons vu les chiffres du développement grimper, avec moins de départ de nos sociétaires et de nouveaux sociétaires toujours plus nombreux. Et cela va au-delà de l’effet d’image conjoncturel. Notre niveau de développement est au- dessus de ce que nous connaissons depuis plusieurs décennies. Le remboursement à nos sociétaires a été un élan initial, rejoint par une politique de gel de tarifs d’assurance auto pendant 3 ans. Et par ailleurs, c’est le pari que je fais depuis pas mal d’années, notre singularité liée à nos engagements au bénéfice de la société devient un critère de choix significatif.
The Good : Comment alignez-vous les engagements de MAIF et vos investissements financiers ?
Pascal Demurger : La transition de l’économie est un levier extrêmement puissant pour les banques et les assureurs. Nous y travaillons depuis longtemps, avec une vraie inflexion, notamment sur la vingtaine de milliards d’euros que l’on a sous gestion. Nous nous sommes fixées des règles d’interdiction d’investissement (secteurs, pays) et nous faisons pivoter l’ensemble de notre portefeuille sous gestion pour qu’il soit 100% ISR et qu’il soit compatible avec la trajectoire de l’Accord de Paris. Nous nous sommes également dotés de véhicules dédiés à l’investissement « for good », comme le fond MAIF Impact qui investit dans des causes solidaires et MAIF Transition, dédié à la transition énergétique.
The Good : 2022 c’est demain. Quelles sont vos propositions pour les candidats à la présidentielle ?
Pascal Demurger : Je suis convaincu qu’au plan macroéconomique, l’ensemble des entreprises doit s’engager, car ce sont elles qui ont le pouvoir de nuisance ET de mise en place des solutions. Tout passera par la capacité des pouvoirs publics à entrainer le monde économique vers la voie de la transition. Ce n’est pas dans la nature des entreprises de privilégier l’intérêt général sur sa rentabilité. La grande majorité ne bougera que si elle y a un intérêt.
L’urgence pour les pouvoirs publics est donc de créer les conditions pour que les entreprises aient intérêt à s’engager. Pour moi cela se traduit principalement par la conditionnalité des politiques publiques, qui doivent s’adapter à la réalité des pratiques de l’entreprise. Le code des marchés publics doit intégrer des critères sociaux et environnementaux de manière significative, au même niveau que le prix. La politique fiscale doit aussi intégrer ces critères. Il y a quelques précédents : en matière de handicap, de chômage, d’accident du travail, l’entreprise ne paye pas la même chose selon la manière dont elle se comporte. Il faut généraliser ces systèmes. Il n’est pas normal que l’État ne fasse pas payer plus des entreprises qui polluent vs une concurrente qui a fourni des efforts de dépollution. Ce n’est pas rationnel car la pollution va créer un coût social que l’État sera obligé de prendre en charge.
Il faut également créer les conditions d’émergence d’un impact score qui soit universel, reconnu par tous, et qui permette aux individus de savoir qui dans un secteur se comporte bien ou non et sur quels critères. Cela nécessite un préalable indispensable : une information extra-financière de l’entreprise qui soit sur les mêmes standards d’exigence que l’information financière et comptable – en termes de normes en amont et d’audit en aval.
The Good : Un conseil pour vos pairs qui veulent s’engager sur la voie de la transformation et de l’engagement ?
Pascal Demurger : Ne croyez pas que tout cela est un feu de paille, une mode qui va passer. Si vous ne vous interrogez pas quant aux attentes des consommateurs sur les pratiques de l’entreprise, vous lui faites courir des risques majeurs. Le premier conseil c’est donc la prise de conscience que quelque chose de profond et définitif se passe. La deuxième chose : si vous vous engagez dans cette voie, faites-le de manière sincère, ne faites pas de washing car cela se verra très vite. Et allez-y de manière forte et profonde.
The Good : MAIF vient de recevoir le Prix de l’Entreprise à mission de l’année lors du Grand Prix de la Good Économie. Une réaction ?
Cette distinction honore l’ensemble des équipes MAIF qui s’appliquent au quotidien à rechercher, à travers chaque activité et à tous les niveaux de l’entreprise, un impact positif sur la société. À l’aube de la COP26, ce prix est une incitation à faire davantage pour accélérer la transition de notre économie et de notre société vers des modèles plus durables. Nous souhaitons que notre engagement inspire le plus grand nombre d’acteurs de l’économie afin qu’ils contribuent à leur tour au mieux commun