Acteur majeur et historique du secteur bancaire coopératif, le Crédit Mutuel a choisi de soutenir le premier Grand Prix de la Good Économie. Son modèle mutualiste résilient et performant est la preuve qu’engagement social et écologique peut rimer avec efficacité économique. Les clés du succès ? La proximité, la confiance, l’inventivité, l’alignement et surtout le temps long. Elles nous sont détaillées par Pierre-Édouard Batard, directeur général de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel.
The Good : Crédit Mutuel est partenaire de cette 1re édition du Grand Prix de la Good Économie. Qu’est-ce qui a motivé votre engagement ?
PE.B : Nous avons été sensibles à l’orientation donnée à ce nouveau prix. Le Crédit Mutuel est un acteur historique de la Good Économie – qu’on appelait jadis l’Économie sociale et solidaire –, et qui percole désormais au-delà de ce champ. Il est important de valoriser les entreprises qui s’engagent pour la cité, sur des sujets climatiques ou sociaux, qui ne se concentrent pas uniquement sur leur pied de colonne, mais se questionnent sur l’impact et les externalités de leurs activités sur la société. C’est une démarche que l’on doit collectivement amplifier, et c’est pour cela que l’on s’y associe. Le Grand Prix est déjà une belle réussite avec plus de 70 dossiers soumis.
The Good : Vous étiez dans le jury du Grand Prix de la Good Économie. Un petit mot sur les dossiers qui vous ont marqué et pour le Grand Prix ?
PE.B : J’ai vu de jolies choses, comme « Il était plusieurs fois » sur les vêtements de bébé, peut-être parce que je suis un jeune père sensible à la surconsommation de biens pour enfants. Concernant le lauréat du Grand Prix, il faut que des acteurs comme Carrefour, et plus généralement la grande distribution, s’engagent plus encore sur ces sujets-là, et notamment sur le réchauffement climatique, le recyclage, les emballages, car ce sont les maillons forts de la chaîne. Les consommateurs sont prêts à faire beaucoup, mais restent tributaires de ce qu’ils trouvent dans les rayons des commerces. Leur attribuer le Grand Prix est un moyen de reconnaître leurs actions et de les inviter à les amplifier.
The Good : Quelle est votre vision du rôle des banques, et plus particulièrement la vôtre, dans la Good Économie. Quelle est leur capacité à entraîner une transformation de l’économie vers plus d’écologie et de social ?
PE.B : Notre modèle nous ancre dans la Good Économie depuis 100 ans. L’intégralité de notre capital est détenue par nos sociétaires et nos clients ; l’épargne des uns finance les projets des autres. Ce fonctionnement coopératif permet de rester proche des enjeux de la société et de s’inscrire dans le long terme – à la différence des acteurs cotés en Bourse, qui peuvent plus difficilement s’abstraire des enjeux de rentabilité à court terme. Cela nous permet de faire des choix stratégiques et parfois disruptifs, comme le maintien de nos implantations locales ou l’investissement fréquent sur des projets sociaux. Nos salariés – qui ne sont pas commissionnés – sont des conseillers bancaires disposant d’une autonomie de décision qui donne de la réactivité. 95 % des décisions sur les crédits sont prises en agence. Notre médiateur national reçoit très peu de réclamations car c’est au niveau local que tout se règle.
Nous sommes toujours dans une recherche de solutions collectives qui vont faciliter, dans une logique sociale, la vie de nos clients. Cela passe par exemple par la suppression des frais d’incident au plus fort de la crise sanitaire pour les clients en situation de fragilité, ou par la carte avance santé, qui permet de n’avancer aucuns frais médicaux. Ou de proposer à ceux qui n’ont pas de carte bleue des retraits de cash au distributeur via un SMS quand les guichets sont clos. Nous sommes également l’une des deux seules banques engagées sur les « prêts avance mutation », qui permettent d’accompagner financièrement les personnes qui veulent rénover leur logement pour en réduire la consommation énergétique mais qui ne peuvent avoir accès à un prêt classique car trop âgées ou avec des ressources trop limitées (le prêt étant remboursé in fine à la vente du bien). La RSE par le social et l’éthique, est une dimension historique de nos métiers.
Alors que nous avons une logique de rentabilité moins prégnante que les banques cotées en Bourse nous sommes aujourd’hui la banque la plus rentable au regard de notre rentabilité sur actif.
The Good : Et face à l’urgence climatique ?
PE.B : Nous avons en parallèle une accélération récente sur les sujets climat et finance durable. La question n’est plus de se questionner sur l’impact environnemental de nos activités « internes » mais plutôt de prendre conscience des externalités liées à notre coeur d’activité, ce que l’on finance, comment est allouée l’épargne de nos clients. C’est cet impact-là, notre scope 3, que l’on doit désormais mieux appréhender. En termes de financement, nous faisons le choix d’accompagner en priorité ceux qui choisissent de se transformer et qui ont besoin de financement pour le faire. En parallèle, nous gérons en extinctif les portefeuilles d’activités qui ont un impact trop négatif sur le climat – comme le charbon où l’on s’est fixé un calendrier d’arrêt des financements à 2030.
C’est un enjeu business pour nous car les risques climatiques sont des risques pour la banque. On sait bien que les clients peuvent être mis en difficultés si les sujets climatiques – comme la montée des eaux – ne sont pas pris en compte dès maintenant. Notre métier est nécessairement plus risqué dans un monde avec + 3 degrés. Tout s’est accéléré en quelques années : on est passés d’une direction RSE détachée des métiers et qui faisait exclusivement du « social » à un rattachement de l’équipe RSE à la direction des risques.
The Good : Est-ce que le modèle mutualiste que vous décrivez peut aussi être un modèle de réussite économique ?
PE.B : Sur l’ensemble de nos principales enseignes – Crédit Mutuel, CIC et Cofi dis… – nous avons 32 millions de clients. Nous sommes la 3e banque sur le marché français des particuliers.
Alors que nous avons une logique de rentabilité moins prégnante que les banques cotées en Bourse (nous n’avons pas d’actionnaires, pas de dividendes, l’ensemble des résultats est réinvesti dans la banque), nous sommes aujourd’hui la banque la plus rentable au regard de notre rentabilité sur actif (ROAA — ratio des résultats rapportés à notre total bilan). Nous avons une infrastructure extrêmement légère, toutes les forces sont mises dans les agences, dans le réseau. La clé de notre succès c’est un chargé de clientèle, dans son agence, qui connaît son territoire économique et qui n’a pas besoin d’un siège pléthorique pour lui dire quoi faire. C’est aussi un investissement massif dans les outils technologiques à son service. C’est enfin dû au fait que chaque mois, les directeurs d’agence ont un conseil avec une dizaine d’administrateurs locaux qui représentent les clients sociétaires. Ils sont donc constamment challengés sur les orientations que l’on prend et sont ancrés dans le réel de nos clients.
The Good : Vous avez annoncé publiquement prendre un congé paternité de 3 mois à la naissance de votre enfant. En quoi était-ce important de marquer professionnellement cet événement personnel ?
PE.B : Nous nous interrogeons beaucoup sur la question de la parité, sur laquelle nous avons du retard. Notre force de travail est en moyenne composée de plus de femmes que d’hommes ; cela s’inverse à partir du niveau de la direction d’agence. Ne pas atteindre la parité sur les fonctions décisionnaires, cela veut dire se couper d’un vivier de talents parmi nos collaboratrices. Nous constatons clairement un plateau au moment où les femmes ont des enfants, nous devons corriger cela, en veillant notamment aux écarts de rémunérations. À titre personnel, je pense qu’il s’agit d’une problématique plus globale autour de la parentalité. Faire en sorte que tous nos collaborateurs puissent s’engager dans leur projet de parentalité c’est une façon de rétablir une forme d’équité, puisque vu de l’entreprise, cela devient une absence à anticiper, pour les femmes comme pour les hommes. En m’arrêtant 3 mois avant l’été, je voulais faire passer le message en interne : si vous en avez envie, vous pouvez vous arrêter à l’arrivée d’un enfant, et l’entreprise s’organisera. Je voulais leur dire que c’est possible, normal et acceptable. Et nous cherchons avec le management des solutions de remplacement (CDD, intérim, recrutement) afin que cela soit bien vécu, par ceux qui restent comme pour ceux qui s’arrêtent et qui ont parfois le sentiment d’abandonner leurs collègues et leurs clients. Quand femmes et hommes s’arrêtent pour une durée longue, cela devient un événement qui touche l’ensemble des collaborateurs et réduit donc les discriminations à terme.
The Good : Un conseil pour vos pairs ?
PE.B : Les entreprises qui réussissent sont celles qui sont capables d’aligner ce qu’elles sont, la façon de faire leur business et leur communication. Une fois que l’on a aligné cela, et que l’on a une éthique vertueuse, on est cohérent et on réussit.