21/01/2025

Temps de lecture : 6 min

[Portrait] Barbara Coignet casse les codes du luxe

À l’angle d’une petite rue parisienne peu passante, une large porte en verre ne laisse rien deviner du joyau qu’elle abrite. La maîtresse des lieux, Barbara Coignet nous accueille dans son magnétique repaire de verre et de béton, soutenu par de larges arches de pierre. Une ancienne ferronnerie qui a laissé place à une nouvelle forme d’artisanat. Avec ce lieu, qui abrite les locaux de son agence de luxe responsable 1.618 et qui accueille des événements méticuleusement sélectionnés, Barbara Coignet donne un avant-goût de ce qu’elle promeut : non pas le luxe clinquant des logos criards et des excès, mais celui du beau responsable, de la rareté et du précieux. Une vision qu'elle porte comme un étendard, avec l'énergie débordante d'une femme qui a fait du changement son moteur et de la durabilité sa raison d'être.

Née à Milly-la-Forêt il y a une cinquantaine d’années, Barbara Coignet grandit dans l’ombre rassurante d’une forêt qui est aussi son terrain de jeu, son refuge et qui deviendra son obsession. Elle l’observe de sa chambre et y pénètre dès qu’elle le peut. Encore aujourd’hui, elle s’y retrouve dès qu’elle a besoin de calme. “Je suis assez fidèle aux choses de l’enfance”, admet-elle. Une enfance qu’elle passe bercée par des parents “étonnants de modernité”, qui plaquent leur vie en banlieue parisienne à 50 ans pour s’installer dans le Sud de la France et inverser les pôles. Sa mère, jusque-là femme au foyer, ouvre une boutique de vêtements pour enfants et son père troque ses diplômes d’ingénieur et ses innovations de codeur fou contre un attirail de pêche. Barbara est sortie de l’adolescence, son frère et sa soeur aussi, les parents envolés du nid les poussent à embrasser leur vie. Barbara choisit de rejoindre Paris avec une seule ambition, “travailler dans le beau et le merveilleux ». Le beau, elle le trouve dans la haute couture. Le merveilleux ? Dans l’organisation des défilés. “Je ne voulais pas dessiner des robes, je voulais sublimer le beau”, explique-t-elle.

Pour y parvenir, elle intègre l’EFAP et entame des “études qui ne questionnent pas beaucoup le cerveau mais qui permettent de rapidement parvenir à ce que tu souhaites faire si tu sais ce que c’est”. Au cours d’un premier stage chez le styliste Angelo Tarlazzi, elle rencontre une directrice des relations presse qui la prend sous son aile et qui l’entraîne chez Lanvin. Elle apprend et entame son ascension, branche après branche, mais un premier constat la déstabilise. « Je voyais l’énergie et l’argent qu’on mettait pour avoir de la presse sur des éléments qui n’étaient pas commercialisés. Ça me rendait folle. » L’équipe commerciale ne parle pas avec l’équipe communication et Barbara se dit qu’il y a sûrement mieux à faire. Elle apprend vite. Elle observe et absorbe. 

Elle se construit un solide fichier et à 21 ans, elle investit les 5000 francs prêtés par sa grand-mère pour lancer sa propre boîte avec un directeur commercial rencontré lors de son premier stage. BMCS, un bureau de presse pas comme les autres puisqu’intégré à 1 showroom commercial. “Dans ce que j’entreprends, il me faut un élément de folie supplémentaire, il faut que j’ouvre des voies, que je teste des choses, qu’il y ait une originalité”. Située à Gare de l’Est à Paris, son bureau de presse nouvelle génération mêle stratégie commerciale et communication. La brique qui manquait dans les entreprises par lesquelles est passée. L’intuition est bonne mais la croissance bourgeonne plus qu’elle n’explose. 

Pour aller plus haut, Barbara en est certaine, il faut un showroom facilement accessible aux journalistes, un lieu qui attire et qui attise. Avec son associé, Marc Seban, ils visitent un immense espace qui, selon l’agent immobilier qui les met sur le coup, “pourrait ressembler à un hall de gare avec un peu d’imagination”. Barbara saute de joie, son associé prend peur. Sur place, ils découvrent un beau bazar de 700 mètres carrés, propriété de la famille Taittinger, idéalement placé entre le Louvre des antiquaires et le Temple de l’oratoire. Un faux plafond en lambeaux laisse deviner une verrière Eiffel. La moquette au sol et la fiente de pigeons auraient rebuté les moins téméraires mais pas Barbara Coignet qui voit derrière le placo et le stuc le ciel et les promesses qu’il tient. Le bureau a deux ans d’existence, un chiffre d’affaires modeste et les unes après les autres, les banques leur claquent la porte au nez. Jusqu’à ce qu’un banquier, plus curieux que les autres, se rende sur place et finisse par leur accorder le prêt tant espéré. Ils restent 21 ans entre ces murs magiques. Ce lieu a tout changé et a permis au bureau de presse d’avoir pignon sur rue et de faire se déplacer foules de journalistes et d’acheteurs tant attendus. 

Mais Barbara voit la vie défiler et alors qu’elle a toujours pensé qu’elle aurait le temps de tout et surtout de vivre les 10 vies pour lesquelles elle se prépare, elle a soudain peur du “temps qui file vite”. Alors que sa société ronronne, elle se dit que ce n’est pas assez. Au-delà de la mode, son sujet, c’est le design, la création. À 29 ans, son associé et elle montent une boutique de mode dans le Haut Marais. Puisqu’une nouvelle aventure n’est pas de trop, elle créé également, derrière le paravent protecteur d’un nom d’emprunt, une collection “complètement absurde de super luxe” qui fait un carton. Mais “ça plus la boutique, plus le bureau de presse, tout à coup je me suis dit que c’était génial mais que je n’avais pas envie que ce soit mon métier.” Elle laisse la marque en suspend et passe à autre chose alors que la presse a largement mordu à l’hameçon de sa création.

En 2007, elle défriche un nouveau périmètre et se lance dans la curation d’éco-hôtels de luxe dans le monde, qu’elle projette de regrouper dans un guide. “Ces hôtels me fascinent mais je n’en trouve aucun en France”. Ces nouveaux lieux qui poussent un peu partout (sauf en France donc) sont aux confins de tout ce qui passionne la jeune femme : le design, l’immersion dans nature, le bien-être, la culture locale… “ Tout me touchait, me créait des émotions. Ce monde cochait toutes les cases, c’était beau, de qualité, rare, éthique, et ça s’intégrait dans la une nature préservée, ça ne venait pas juste se poser et s’imposer là”. Elle a une révélation. Le luxe de demain sera durable ou ne sera pas. Le luxe ne doit pas se contenter de briller mais doit aussi éclairer. Le choc a eu lieu. Elle revisse sa casquette d’attaché de presse et se dit qu’elle a envie de se battre pour toutes ces marques engagées qui font que l’expérience dans ces lieux est totale (cosmétiques, luminaires, mobilier, nourriture, etc.)

Elle organise l’événement 1.618 qui réunit des marques de luxe engagées qu’elle source avec une toute petite équipe qu’elle réunit pour l’occasion. Pourquoi ce nom ? « C’est le nombre d’or, l’harmonie, la beauté universelle avec cette petite imperfection qui rend les choses plus belles à l’œil. » Un concept qui résume parfaitement sa vision du luxe durable. Pas parfait, mais innovant et en harmonie avec la nature. Le défi est de taille. En 2009, parler de luxe durable sonne comme un oxymore. Barbara persiste. Elle perd de l’argent et 2 associés qui  avaient soutenu le projet. Mais qu’à cela ne tienne, elle recommence et s’accroche à sa vision.

Aujourd’hui, Barbara et son équipe conseillent des marques engagées et les met en réseau pour qu’elles grandissent, ensemble.. Son obsession ? Changer les habitudes de consommation. « Le luxe dont on parle n’est pas lié qu’au coût ou au marketing. C’est lié à un prix juste et à la rareté de ce que l’on propose mais surtout à la capacité de préserver la nature et protéger l’humain. » Elle rêve d’un monde où l’on désirerait une paire de lunettes non pas pour sa marque, mais pour son impact positif. Un monde où le luxe rimerait avec responsabilité. Pourtant, Barbara n’a rien d’ une ayatollah de l’écologie. “Il faut lever ce frein d’avoir peur de ne pas être complètement engagée. Je fais plein de trucs pas bien et ça m’est parfois reproché”. Ce qu’elle souhaite, c’est trouver un équilibre. Entre le confort et la responsabilité. Entre le beau et le durable. Entre l’émotion et la raison. Celle qui passe 6 semaines par an au Brésil ne voudrait pour rien au monde renoncer à cette bulle, et tant qu’il n’y a pas d’alternative viable au long-courrier, elle prend l’avion. En revanche, elle a revu sa manière de consommer la nourriture, les vêtements et accessoires. “Moins mais mieux et surtout je fais très attention aux provenances, aux producteurs”, explique-t-elle. Elle est devenue une micro-consommatrice, plus consciente et plus attentive. Et si c’était ça le vrai luxe ? Pas un objet. Pas un statut. Mais une transformation. Un éveil. Le luxe de vivre en harmonie avec soi-même, avec les autres, avec la planète.

Barbara Coignet est une femme en mouvement perpétuel qui puise sa force dans ses racines. Dans cette nature qui l’inspire et la nourrit.  Son prochain projet ? Créer des expériences uniques autour du luxe durable. “Des moments rares, précieux, qui ne se reproduiront jamais”. Des instants où l’on peut vivre, ressentir, comprendre, rencontrer. Et surtout, agir. Quand on lui demande si elle arrive parfois à se contenter de ce qu’elle a créé, elle répond sans hésiter : « La réponse est non. » Non, elle n’est jamais satisfaite. Non, elle n’en a jamais assez. Non, elle ne s’arrêtera jamais. “Je passe mon temps à me critiquer et à considérer que je ne fais pas assez, mais quand j’essaie de voir le verre à moitié plein, je vois que j’ai attrapé quelques rêves”, glisse-t-elle dans un sourire. La suite ? Peut-être un livre, un film, ou une maison 1.618. Peu importe le flacon pourvu qu’il y ait de l’audace, de l’impertinence et une petite dose d’éternité.

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