A Evian, petite commune de Haute-Savoie (74) peuplée de 9000 habitants, la municipalité s’efforce de développer le chauffage en biomasse pour préserver la planète, mais elle fait face à la défiance d’une partie de la population qui craint une pollution aux nanoparticules. Explications de la maire, Josiane Lei.
The Good : Le projet d’agrandissement de la chaufferie biomasse rencontre donc la défiance d’une partie de la population. Quelles sont les raisons de la colère ?
Josiane Lei : Nous avons été surpris par l’inquiétude des voisins directs de la chaufferie, qui craignent d’être touchés par une pollution, et nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas assez communiqué. Certains sont allés chercher des informations sur le Web… et ils ont vu qu’à Strasbourg, une association a été créée en réaction à la présence d’une chaufferie biomasse, avec des scientifiques qui affirment que les nanoparticules émises sont cancérigènes. Mais les filtres placés sur notre installation évitent ces émissions ! L’installation est régulièrement contrôlée et nous avons eu l’autorisation de l’Etat pour la bâtir.
The Good : Pour les particules, nous sommes sur 10ng/Nm3 (nanogrammes par normo mètres cubes), là où la loi fixe un seuil à 30ng/Nm3…
Josiane Lei : Malgré tout, la population est inquiète. Il y a eu des pétitions contre notre projet d’agrandissement et quatre recours ont été déposés, basés sur quatre éléments : la perte de vue (pollution visuelle), – mais les cheminées sont petites – , le bruit généré – mais le bruit a été contenu et le plus important vient des camions qui assurent la livraison une fois par semaine sur un site des services techniques ayant plusieurs centaines de mouvement de poids lourds par semaine! – , la pollution par les cheminées – mais ce qui est visible est l’enseuillement de la vapeur d’eau et la filtration des particules est 400 fois plus performante que celle offerte par des chaudières individuelles ; la chaudière étant équipée d’électrofiltres pour les nanoparticules dites PM10.
Le permis de construire est en cours d’instruction.
The Good : Comment en êtes-vous venus à développer ce réseau de chaleur ? Et qu’alimente-t-il ?
Josaine Lei : Notre programme électoral était basé sur les 17 objectifs de développement durable de l’ONU et, dans ce cadre, nous avons notamment développé un réseau de chaleur.
L’idée de départ était d’abaisser notre consommation en énergie fossiles et nos émissions de gaz à effet de serre. Nous sommes partis sur un projet de chaufferie biomasse implantée sur les hauts de Evian… L’objectif était de chauffer environ 700 logements en cours de construction, mais aussi de chauffer la caserne des pompiers, le collège et un Ehpad.
La chaufferie, mise en service en novembre 2003, occupe 400 m², sur une hauteur de 9 mètres, avec des cheminées de 18 mètres (soit 9 mètres au-dessus du faîtage). Cette hauteur a été calculée pour ne pas apporter de gêne car Evian est tout en pente. Cette chaufferie est équipée de trois cheminées qui rejettent de la vapeur d’eau. La chaudière est, quant à elle équipée de filtres. Beaucoup disent que le bois pollue, mais une chaufferie biomasse pollue nettement moins que des cheminées individuelles ! Les filtres retiennent énormément de nanoparticules et évitent qu’elles ne se dispersent dans l’atmosphère. Malgré tout cela, ce système inquiète certains de nos administrés.
The Good : Pourquoi voulez-vous en augmenter la capacité ?
Josiane Lei : Nous souhaitons l’agrandir pour raccorder au réseau de chaleur une centaine de logements sociaux. Le bailleur Mont Blanc devait changer de chaudière et il nous a sollicités pour profiter de notre système. Nous allons aussi raccorder d’autres équipements publics : le conservatoire de musique, la Maison des associations, d’ici à la fin de l’année. Et ensuite, nous allons pouvoir chauffer un palace et deux hôtels appartenant à la Société minérale des eaux d’Evian, d’ici à la fin d‘année, également, ainsi que la salle de concert La Grange au Lac.
A terme, nous aurons une production de 14 GWh (giga watt heure) de chaleur avec un taux de biomasse de 75 à 80% (une petite partie est au gaz). C’est 2300 tonnes eq CO2 non rejetés.
The Good : Pourquoi avoir choisi le bois ? Est-ce vraiment responsable de brûler du bois ?
Josiane Lei : La géothermie n’était pas possible pour nous car nous avons les sources d’eau minérale. Nous ne pouvions pas non plus utiliser la chaleur fatale, récupérée dans les usines d’incinération, puisque nous n’en avons pas. Le bois était la meilleure solution.
Notre biomasse est de la plaquette forestière (du broyat de bois non valorisable) provenant à 80 % à moins de 100 km. Il s’agit de bois non traité collecté dans un rayon de 100 km alentour, dans des scieries, auprès des bûcherons, etc. Les arbres ne sont pas coupés pour nous, nous ne collectons que les copeaux ; les résidus d’activités liées au bois. Sur 2024 cela représentera environ 5 à 6000 m3 soit une soixantaine de camion. Nous sommes livrés toutes les semaines. Le bois est brûlé dans une chaudière et la chaleur produite est diffusée par le biais de 3 km aujourd’hui, 7 km demain, de canalisations enterrées dans la voirie et reliées aux différents usagers.
The Good : Quel est le coût d’un tel équipement et comment en gérez-vous le quotidien ?
Josiane Lei : Nous avons signé une convention avec le Syane, le Syndicat des énergies et du numérique en Haute Savoie. C’est lui qui gère tout pour nous. Nous avons initié le projet puis délégué la compétence chaufferie urbaine au Syane. Ce syndicat a financé l’opération et il va facturer les établissements privés ainsi que la collectivité. La phase un de ce projet, achevé en novembre 2023, a coûté 5 M€, financé par l’Ademe à hauteur de 2.6 M€, le reste a été financé par le syndicat. Le réseau représente 3km avec une puissance 800 kW bois et 4000 kW gaz. L’extension de la chaufferie (décembre 2024) représente 5M€ complémentaires, et le réseau sera porté à 7 km avec une chaudière complémentaire de 1200 kW bois en plus.
The Good : Est-ce que votre chaufferie biomasse vous permet de faire des économies ? Les avez-vous chiffrées ?
Josiane Lei : Cette chaufferie ne nous permet pas de faire des économies financières mais d’apporter un mix énergétique là où nous avions 98% d’énergie fossile. Elle nous permet également de créer de l’emploi et de l’activité non délocalisable. C’est environ 10 emplois par an pour une installation de ce type sur toute sa chaîne de fonctionnement, de l’exploitation forestière à l’entretien des installations chez les clients.
Aujourd’hui nous utilisons du bois, mais l’installation permet d’accepter d’autre biomasse. Ce projet est évolutif et c’est très rassurant compte tenu d’un contexte énergétique sans cesse en tension.