12/11/2024

Temps de lecture : 6 min

« Quand la CSRD s’associe au design pour transformer les business models », Léa Brosseau (Pixelis)

La directive sur la publication d'informations en matière de durabilité (CSRD, en anglais Corporate Sustainability Reporting Directive) représente une avancée significative pour les entreprises européennes en matière de transparence et de responsabilité. En exigeant un rapport de double matérialité – c’est-à-dire d’une évaluation financière et extra-financière – elle impose aux organisations d’évaluer et de communiquer sur les impacts environnementaux, sociaux et économiques de leurs activités.

Mais souvent, une fois cette évaluation effectuée comme dans de nombreux reportings légaux, des challenges demeurent : comment rendre ces informations intelligibles pour toutes les parties prenantes ? Comment embarquer ses collaborateurs dans une démarche engageante à partir de cette analyse ? Comment s’assurer de s’être posé les bonnes questions et que ce travail amène vers une prise de mesures et d’actions impactantes, engageantes, qui vont au-delà du simple cadre législatif ? Le design a peut-être des réponses à ces questions. Utilisé en amont du projet, c’est un outil qui permet d’intégrer et d’incarner concrètement la stratégie d’entreprise (définir des territoires d’opportunité pertinents pour demain), tout en se révélant être aussi une force vulgarisatrice (incarner des données chiffrées et des éléments complexes en en faisant un récit intelligible) permettant d’embarquer un large collectif.

Des enjeux environnementaux, économiques et sociaux de plus en plus challengeants pour les entreprises : comment se poser les bonnes questions ?

Les 2 Vaches / Les Prés Rient Bio est engagée dans une démarche de durabilité depuis plusieurs années : poisson pilote du groupe Danone, la marque a développé une démarche militante, d’abord autour du lait. Véritable actrices régionale normande, faisant la promotion du bio, animant un réseau d’experts autour de fermes pilotes (programme Reine Mathilde), la marque s’est installée comme la figure de proue d’une démarche militante et équitable, notamment en promouvant une meilleure rémunération des éleveurs grâce à des contrats équitables et ce, malgré les aléas climatiques qui fragilisent la profession. Depuis, la marque cherche à continuer d’étendre cet engagement à tous les ingrédients qui composent ses yaourts et desserts : myrtilles, citrons, framboises, café, cacao, vanille… dont les approvisionnements sont menacés par des enjeux environnementaux, sociaux, économiques. Cette exigence dans le sourcing des ingrédients, dans le souci de se poser les bonnes questions, nous a particulièrement marqués, en tant qu’agence accompagnant de nombreux acteurs de l’agro-alimentaire.

C’est dans le cadre de cette ambition que nous avons accompagné la marque sur l’analyse de ses filières en s’inspirant de la démarche de la CSRD pour identifier les risques (sociaux, environnementaux, géopolitiques, économiques…), les impacts (positifs ou négatifs) et les opportunités. De la récolte à la transformation des fruits et des arômes intégrés dans les produits Les 2 Vaches / Les Prés Rient Bio, nous avons passé au peigne fin l’ensemble des filières, au nombre total de 21, pour identifier là où le modèle d’affaire de l’entreprise est le plus mis en difficulté (risques) et là où l’entreprise et ses activités affectent l’environnement ou la société civile (impacts). Notre rôle, en tant qu’agence de design, est d’abord de mettre à plat toutes les informations disponibles. Autrement dit, de poser des questions avec une forme de naïveté et de recul qui permet d’abord d’identifier de potentiels angles morts, malgré le travail d’engagement déjà effectué :

– Comment faire face à la volatilité des prix du cacao aujourd’hui, et demain ?
– Comment faire, si demain, la production de fruits rouges (myrtilles, framboises, mûres) sourcée en Europe de l’Est se réduit à cause des aléas climatiques ? 

– La sécurité du transport de la filière vanille est-elle assurée malgré les sujets de piraterie dans le canal de Suez ?
– Faut-il s’inquiéter de la situation géopolitique du Brésil quant à l’approvisionnement en canne à sucre ?
– Comment s’assurer que les fruits récoltés à la main le sont dans de bonnes conditions de travail ?

Et tant d’autres questions qui touchent aux enjeux géopolitiques, économiques et sociaux que les marques de l’agroalimentaire doivent se poser avec précision, sinon avec courage. 

Jacinthe Brillet, General Manager Les Prés Rient Bio : Intégrer la recherche de résilience à nos réflexions a été l’occasion de réinventer certains fondamentaux de notre modèle d’affaires. En superposant en filigrane les fluctuations du climat et les problématiques sociales émergentes à chacun des maillons de notre chaîne de valeur, on révèle des risques mais aussi des opportunités d’innover, de résoudre de nouveaux problèmes, et donc de créer une valeur renouvelée. 

Du mapping des enjeux à une évaluation des risques et des impacts, le design comme force vulgarisatrice

Se poser ces questions constitue un vrai travail d’enquêteur minutieux afin de trouver l’information là où elle se trouverait manquante : nous sourçons des articles scientifiques ou économiques sur les méthodes d’agriculture ou la géopolitique d’un pays, nous analysons les documents fournis par la marque et ses fournisseurs et nous menons des entretiens qui nous permettent d’identifier les “trous dans la raquette”. C’est sur cette base que nous évaluons les risques et les impacts associés. En d’autres termes : qu’est-ce qui menace le plus votre business demain ? Sur quel levier devez-vous agir ? Dans quel horizon de temps ? Pour cela, nous réunissons autour de la table les bons experts, fournisseurs, experts en biodiversité, experts des méthodes de développement durable (FSSD), responsables des achats … Cette curation des points de vue est indispensable pour créer les consensus et dissensus qui nous apporteront une granularité plus fine dans notre analyse, par exercice de priorisation.

À ce stade, la vulgarisation des enjeux, la vision d’ensemble des différentes filières, l’appréhension de l’importance priorisée des impacts et des risques ne peut se faire sans les outils du design. Le design, à cette étape du projet, permet de traduire ces informations en supports visuels impactants, avec l’objectif de ne pas seulement présenter des données mais aussi de raconter à travers elles une histoire, celle de l’engagement de l’entreprise dans une projection future, tout en rendant ces efforts plus visibles et compréhensibles pour différents types de publics (métiers au sein du groupe, citoyens…).

Le design comme levier stratégique : acculturer les équipes, dégager les bons territoires d’opportunité 

Grâce à la modélisation des données et à l’illustration des étapes des filières, de leurs risques et de leurs impacts, nous avons pu raconter l’histoire de chaque filière. Le passage de l’évaluation des risques et des impacts à l’élaboration de territoires d’opportunité fait ensuite du design un levier stratégique pour les entreprises : pas à pas, nous dessinons des solutions face aux risques et aux impacts identifiés, afin d’en faire des opportunités. 

Pauline Maupu, Responsable Filières & Impact – Les Près Rient Bio : “Cette démarche a non seulement enrichi notre analyse en mettant l’intelligence collective au cœur du processus, mais a surtout favorisé une dynamique d’engagement rapide et positive autour d’objectifs communs, tant au sein de l’équipe Les Près Rient Bio qu’avec nos partenaires. Cela a créé une véritable valeur ajoutée pour toutes les parties prenantes.”


Développer un projet autour de la biodiversité avec Kaoka, fournisseur de cacao et partenaire de longue date de la marque, faire des produits moins sucrés en jouant sur la maturité des fruits, s’associer avec d’autres marques pour développer le transport en bateau à voile sur des longues distances, contribuer au développement de la filière de sucre de betterave bio en France, etc., sont autant d’opportunités émergentes suite à cette analyse. L’ensemble de ces opportunités dessinent des territoires à investir pour la marque, véritable feuille de route pour les années à suivre. Plus qu’un simple “rapport RSE” ou autre qu’une double matérialité complexe, nous pensons que cette démarche, plus simplifiée, laisse aussi la part belle à d’autres enjeux que la concentration sur la réduction de l’impact carbone – dont on ne doit pas sous-estimer l’importance – comme la biodiversité et les enjeux humains. Enfin, c’est une manière concrète de passer à l’action : par une démarche qui amène, en entonnoir, sur des territoires d’opportunité qui permettent de travailler la résilience des filières.

À la fois force vulgarisatrice et levier stratégique, le design peut permettre de dépasser les simples “metrics” et données brutes d’une analyse classique de la CSRD. Ce type de démarche CSRD x Design a une valeur ajoutée de par :
– La capacité à mixer “sciences dures” et “sciences molles” : aux côtés d’analyses de réduction sur l’impact carbone, le regard des sciences humaines et du design a de l’importance pour s’assurer que les enjeux sociaux et environnementaux sont couverts dans l’analyse des filières 
– La hauteur stratégique qu’elle confère, permettant de ne pas se réduire à un simple choix de sujets à présenter dans un rapport, mais de développer un exercice qui peut nourrir des stratégies d’innovation et de diversification, de recrutement, de diversification de gamme etc.
– Le développement de la CSRD comme une des clés de voûte de la stratégie d’une entreprise, en dépassant l’exercice classique de compliance trop souvent réducteur dans ses mises en perspectives opérationnelles et métiers.

La CSRD est une avancée législative précieuse et nécessaire pour engager les entreprises dans des processus d’évolution de leurs pratiques business. Nous sommes convaincus qu’elle sera d’autant plus puissante si elle est portée par des outils de design au service de tous les métiers des entreprises.

Léa Brosseau, Senior Innovation Strategist à l’agence Pixelis

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