La SNCF n’a plus de monopole ferroviaire depuis décembre 2020. La coopérative Railcoop veut profiter de cette réforme contestée pour relancer des lignes rurales et développer le train de nuit. Une alternative écolo et citoyenne qui profiterait à l’économie locale.
Selon un sondage du cabinet Protourisme, 61% des Français sont prêts à prendre le train plutôt que l’avion pour des raisons écologiques. Une prise de conscience qui reflète l’avenir du train dans une société bas carbone. La loi « pour un nouveau pacte ferroviaire » votée en 2018 a ouvert le rail hexagonal à la concurrence. Un changement des règles du jeu pour l’instant retardé par la crise sanitaire, mais dont la finalité est l’entrée sur le marché de nouvelles compagnies. Parmi elles, Railcoop, une société créée par des sociétaires issus de l’économie sociale et solidaire. À la différence des concurrents européens, ces Français proposent une approche rurale du train. « Lorsque notre directeur général s’est installé dans le Lot, il a vu des gares et des lignes dépourvues de service voyageur. Un abandon des lignes secondaires qui nous a motivés à se lancer quand l’ouverture à la concurrence a été confirmée », se souvient Dominique Guerrée, président du conseil d’administration de Railcoop. « Le ferroviaire répond à une soif de mobilité plus douce dont le sens écologique et social est indissociable ».
« Dans les années 30, il y avait 60 000 km de voies. Aujourd’hui, on est en dessous des 30 000 »
En l’espace de 70 ans, la SNCF a été contrainte de fermer de nombreuses lignes secondaires et ses petites gares. Une réduction du parc ferroviaire qui révèle les objectifs de rentabilité et le mode de gouvernance de l’entreprise publique et notamment de son actionnaire unique, l’État. « La volonté depuis plusieurs décennies est de faire du transport de masse sur des lignes très rentables, le point d’orgue étant le TGV en 1981. Les petites lignes ont vite été abandonnées puisque les gens avaient déjà leur voiture », se remémore Dominique Guerrée. « Dans les années 30, il y avait plus de 60 000 km de voies sur le réseau français. Le maillage était considérable, et tout a diminué avec l’arrivée de la voiture. On est aujourd’hui à moins de 30 000 km de voies réellement exploitées ».
« Notre premier objectif est de réouvrir la ligne Bordeaux-Lyon pour 2022 »
Face au déclin historique du train dans les zones rurales, Railcoop prépare la réhabilitation de plusieurs lignes empruntées exclusivement pour le fret. « Notre premier objectif est de réouvrir la ligne Bordeaux-Lyon pour 2022. Notre étude de marché prouve que la ligne est rentable, mais le covid nous contraint d’en refaire une seconde ». La coopérative ne répond pas aux appels d’offres publics, préférant le système de lignes librement organisées. « C’est l’assemblée générale de nos sociétaires qui sélectionne les lignes en fonction de critères écologiques et touristiques », précise Dominique Guerée. La coopérative a aussi déposé des sillons horaires (période de circulation d’un train entre deux points) pour Toulouse-Rennes et Lyon-Thionville. « On veut aussi proposer des trains de nuit, sachant qu’il reste seulement deux lignes en activité sur tout le territoire. Mais ces hôtels roulants ont pour la plupart été démantelés ». Railcoop s’est tourné vers le rare matériel d’occasion encore existant. « On a trouvé des rames réversibles d’ancien TER que les régions ont abandonnés. On est en cours d’achat, le but étant de recycler ces wagons pour les mettre aux normes ». Les lignes moyennes n’étant pas électrifiées en France, les trains seront contraints de tourner au diesel. Mais avec des distances limitées et une infrastructure déjà présente, les émissions devraient rester inférieures à celles de la voiture.
« On travaille avec des collectivités locales qui ont vite compris l’intérêt de dynamiser leur territoire »
Sur le plan économique, la coopérative est en train de muscler son jeu. Entrer dans le marché ferroviaire français demande une licence d’entreprise d’une valeur de 1,5 million d’euros. « C’est une protection destinée à ce que seules des structures solides soient sur le réseau. On dispose aujourd’hui de plus d’1,8 million d’euros et on est passé de 3000 à 6000 sociétaires en peu de temps » annonce Dominique Guerée. Les coûts sont multiples et demandent une trésorerie importante. « On doit aussi payer le certificat de sécurité nécessaire au transport de voyageurs, la formation des conducteurs, la sécurisation des lignes, leur testage etc ». Toute une étendue de dépenses qui s’équilibrent avec le financement des acteurs locaux. « On a quelques PME qui nous soutiennent, mais aussi des associations dont l’aide est précieuse. Les collectivités locales jouent aussi un rôle crucial. La ville de Gannat finance le projet car elle a compris l’intérêt pour la dynamique de son territoire ».
« Notre concurrence ce n’est pas le train, c’est la voiture, le bus et l’avion »
Les mastodontes du ferroviaire comme l’italien Thello ou l’espagnol Renfe ont décidé de reporter leur entrée dans le rail français. Un retard lié à la crise sanitaire et économique qui n’effraie pas Dominique Guerrée. « Notre concurrence ce n’est pas le train, c’est la voiture, le bus et l’avion. D’ailleurs on ne craint pas le retard de ces entreprises car elles visent le transport de masse, nous celui des secondes lignes. On n’est pas sur le même marché. Cela dit, on aimerait travailler avec elles pour développer des correspondances en France et au-delà ». Pas le même marché, et pas la même structure juridique non plus. Railcoop est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui associe ses salariés, des usagers et des acteurs locaux. « En tant que SCIC, notre gouvernance revient à une personne égale une voix. Notre capital est ouvert aux citoyens pour construire un projet commun, mais aussi les collectivités, ce qui permet un vrai projet d’intérêt collectif ». Cette structure juridique unique en France permet de fédérer une constellation d’acteurs. « Depuis 2015, on observe une forte augmentation de cette structure citoyenne car elle favorise la dynamique des territoires ». Parmi les SCIC les plus connues, il y a Enercoop, la plus grosse coopérative de l’énergie renouvelable du pays, mais également Biocoop, dont l’actualité récente touche plus à ses problèmes de management qu’à son succès commercial. « C’est l’histoire de la gouvernance et du management d’avoir des problèmes comme Biocoop. Pour garder notre raison d’être, on a des sociétaires qui veillent à ce que l’entreprise ne fonctionne pas de façon capitalistique », explique Dominique Guerrée. Une vigilance qui montre que les questions de rentabilité, de croissance et de pouvoir sont toujours aussi présentes.