Pourquoi malgré le consensus scientifique sur l’urgence à agir pour maintenir notre planète habitable n’agissons-nous pas ? Nous traversons ce que nous appelons (en commettant l’erreur étymologique et donc symbolique) une « crise » écologique, sociale et démocratique sans précédent et pourtant nous y répondons avec des visions irréalistes du futur inspirées du techno-solutionnisme ou d’un effondrement irréversible qui poussent à l’inaction, la dépression ou au survivalisme. Il est urgent de proposer des récits alternatifs aux récits dominants et de faire projet/culture autrement : la transition écologique est avant tout culturelle.
La mise en récit pour conduire les transformations écologiques dans les territoires relève d’une posture démocratique qui laisse place à l’écoute et à la coopération. Pour rivaliser avec le récit dominant et insoutenable de la surconsommation, il faut inventer et faire émerger une multitude de nouveaux récits et d’imaginaires réalistes souhaitables et justes pour une meilleure qualité de vie pour tous et toutes. Les pratiques et expériences artistiques sont de puissants leviers pour mobiliser nos affects, nos émotions et ainsi repenser nos modes de vie, nos façons d’habiter et notre modèle de société. Bonne nouvelle : ces récits sont parfois déjà là, dans les territoires, les quartiers, ils germent à bas bruits. Il convient de les soutenir, les accompagner et les essaimer.
Considérant que l’enjeu de la transformation socio-écologique est avant tout un enjeu culturel, France Villes et territoires Durables* (FVD) a lancé un nouveau groupe de travail sur la contribution des arts dans les transformations écologique, sociale et culturelle. Ce GT a pour ambition de s’appuyer sur la puissance des expressions artistiques et culturelles pour inspirer l’avenir des communautés urbaines et rurales en mettant l’accent sur la création d’un récit commun qui mobilise et embarque les acteurs locaux autour des réponses aux défis sociaux et environnementaux.
Fort du réseau unique de cette Association*, représentants de collectivités, services de l’Etat et opérateurs des politiques publiques, entreprises, experts mais aussi acteurs du monde artistique et socio-culturel se sont réunis justement à Blois en janvier, dans le cadre du festival Génération Climat, pour définir collectivement les freins à lever, les meilleures méthodes à diffuser et les grandes priorités pour accélérer les démarches de conduite du changement dans les territoires.
Faire émerger le déjà là, valoriser et prendre conscience des actions déjà mises en œuvre de façon informelle, rendre visibles l’invisible et l’immatériel, raconter ce qui compte vraiment, s’accorder collectivement sur des objectifs compatibles avec les limites physiques d’habitabilité du territoire… De nouveaux récits plus soutenables sont effectivement déjà à l’œuvre dans nos territoires mais ont peine à s’imposer face à la prédominance des valeurs et schémas économiques actuels insoutenables encore largement dominants.
Deux exemples piochés en région Centre Val de Loire pour illustrer ce qui se passe localement d’inspirant : le projet des Lettres du pays, porté par la compagnie de théâtre Les Fous de Bassan depuis 10 ans dans le Pays de Loire-Beauce vise à recueillir la parole habitant.e.s et la retransmettre de façon littéraire et artistique pour renforcer les liens sociaux notamment avec les agriculteurs qui jouent un rôle central dans le projet et se reconnecter au territoire par son « paysage ». Les habitant.e.s de 40 communes ont écrit des lettres soit en se mettant dans la peau d’un élément non humain, soit en écrivant à cet élément. L’objectif de ce jeu poétique : révéler ce qui est marquant et ce qui compte sur le territoire.
Initiée par le POLAU en 2019, la démarche du parlement de Loire est une fiction, une institution potentielle, qui invite à se mettre à l’écoute de l’écosystème Loire et de ses alertes. Associant de nombreux partenaires ligériens, la démarche du parlement de Loire renouvelle la façon d’aborder une situation territoriale critique (paysage d’alertes) à partir du droit, des arts, de l’écologie, de l’anthropologie et d’enquêtes de terrain.
Le programme Erable de l’Etat soutient des projets transdisciplinaires de recherche-action, pour mettre en récit la biodiversité – associant chercheur.ses des sciences sociales et des sciences du vivant, artistes, décideur.ses et acteurs de la vie locale.
Repenser nos modes de vie et nos modèles de production suppose un travail de long cours, pour croiser les regards et mobiliser différentes compétences. Même s’il y a urgence à agir, il est nécessaire de prendre le temps de faire culture avant de penser le projet, de penser l’histoire que l’on veut raconter avant de l’écrire. Cette phase de réflexion est une étape clé permettant la rencontre des parties prenantes et l’immersion dans le territoire pour définir collectivement le projet.[1]
Revoir nos récits et nos manières de faire projet autour de la culture et des arts est une opportunité unique pour remettre le sensible au cœur de notre action, repenser la place des habitant.es, renforcer l’engagement des citoyen.nes et renouer avec les territoires. Un livrable créatif et vivant issu du groupe de travail de FVD devrait voir le jour en 2025…
Virginie Lutrot | Présidente de France Villes et territoires Durables, Maire de Port-Jérôme-sur-Seine, Présidente de Caux Seine Agglo, Première Vice-Présidente de Intercommunalités de France
Christophe Degruelle | Vice-Président du Collège des collectivités de France Villes et territoires Durables, Président de la Communauté d’Agglo de Blois, Vice-Président Culture d’Intercommunalités de France
*France Villes et territoires Durables (FVD) est l’association française des parties prenantes professionnelles publiques et privées des villes/territoires durables et résilients, qui réunit l’Etat (et ses agences et opérateurs), des collectivités locales (et certaines de leurs fédérations), des entreprises (de toute taille et secteurs d’activité) et des experts (voir les membres ici).
Avec l’ensemble de ces acteurs, nous avons redéfini les priorités de la ville et du territoire durable autour des objectifs de sobriété, de résilience, d’inclusion et de créativité, à travers un Manifeste régulièrement nourri des travaux d’un comité scientifique. Mais nous ne sommes pas un think tank, et visons la mise en œuvre opérationnelle, notamment à travers des ateliers d’inspiration pour exécutifs et directions générales des collectivités. Dans une logique d’intérêt général, l’objectif est de repérer et rediffuser le plus largement possible les meilleures méthodes, outils et exemples de réalisations qui permettent à la fois d’accélérer la transformation écologique et sociale des territoires et de les faire monter en résilience.
[1] Les 5 dimensions de la Mise en récits (M.E.R), La Fabrique des transitions