12/12/2022

Temps de lecture : 5 min

« Sobriété, j’écris ton nom ! » Flora Vidal Marron (Weavers) et Grégory Doucet (maire de Lyon)

Organisée par le réseau d’entrepreneurs engagés Mouvement Impact France, la deuxième édition des Universités de l'Economie de Demain à Lyon s’est déroulée le 29 novembre sur le thème : « Sobriété, j'écris ton nom ! ».

Organisée par le réseau d’entrepreneurs engagés Mouvement Impact France, la deuxième édition des Universités de l’Economie de Demain à Lyon s’est déroulée le 29 novembre sur le thème : « Sobriété, j’écris ton nom ! ». Flora Vidal Marron, fondatrice et directrice de Weavers, association qui forme et facilite le recrutement de personnes exilés mais aussi co-ambassadrice Auvergne Rhône Alpes du Mouvement Impact France, et Grégory Doucet, Maire de Lyon signent ces deux tribunes.

« Il n’y a pas de sobriété sans justice sociale », Flora Vidal Marron, Weavers

« Au-delà de la décarbonisation de notre économie, la question de la répartition des richesses et des ressources est centrale dans une économie sobre. La question de la sobriété pose la question de la répartition des ressources pour répondre aux besoins essentiels : se nourrir, se vêtir, se loger etc… Nous ne consommons pas toutes et tous de la même manière et nous ne contribuons pas dans les mêmes proportions à la destruction de l’environnement. Une sobriété juste s’attaquerait aux surconsommations et aux usages superflus dont tout le monde ne bénéficie pas de la même façon et qui ne contribuent pas à assurer le bien-être de toutes et tous .

La question de la sobriété pose la question de la répartition des richesses. Vous le savez déja, de nombreux secteurs sont en tension depuis la pandémie du COVID 19 et 500 000 salariés français ont démissionné au 1 er semestre 2022. C’est particulièrement vrai pour les métiers essentiels : les métiers du lien, les soignants, les métiers du 1er et du 2nd œuvre ainsi que dans la restauration. Malheureusement, de nombreuses salariées des métiers essentiels gagnent moins que le salaire (SMIC) mensuel. Ces faibles revenus s’expliquent à la fois par le recours presque systématique au temps partiel, souvent contraint, par le faible salaire horaire et par une comptabilisation « au rabais » des heures, ne prenant pas en compte le temps de travail réel. Une économie sobre ne peut que revaloriser les métiers essentiels, qui est le seul moyen de répondre aux forts besoins en main d’œuvre et au besoin de nos économies ! Autrement dit, la sobriété sans égalité c’est l’austérité pour les plus pauvres.

La question de la sobriété pose celle de la répartition de la valeur

Au Mouvement Impact France, nous proposons l’instauration d’un « dividende social ». Suivant la formule « 1 euro aux actionnaires = 1 euro aux salariés »). Les entreprises jouant ce jeu se verraient bénéficier d’un crédit d’impôt égal au montant versé aux salariés. L’idée est d’encourager les entreprises à partager la valeur, et à la partager équitablement (grâce à l’octroi d’un avantage fiscal). Nous proposons également une indexation de la rémunération variable des dirigeants sur des critères extra-financiers (impact environnemental et social de l’entreprise) et non plus que sur des critères à court terme, purement liés à la création de valeur financière.  C’est un moyen d’impulser une transformation de l’entreprise (et donc une démarche de sobriété) en réponse aux enjeux sociaux et environnementaux car la performance financière n’est alors plus l’unique critère de réussite, elle est complétée par des indicateurs de réussite nouveaux. Nous choisissons enfin des écarts de rémunération transparents et équitables suivant la taille de l’entreprise. Dans ces trois exemples, le partage de la valeur montre que l’entreprise s’inscrit dans le temps long et cesse de viser l’horizon court-termiste du profit et la seule satisfaction des actionnaires. La rentabilité devient donc un moyen et non plus une fin.

Il n’y a pas de sobriété sans solidarité

La sobriété consiste à se passer du superflu et à re-investir l’essentiel. La sobriété ne saurait concerner ceux qui ne bénéficient pas du nécessaire. Prendre en compte le principe de solidarité  dans la sobriété nécessite de modifier les discours et les actions politiques, d’agir via des mesures concrète. Une économie sobre est solidaire si elle re-investit dans les services publics avec un coup d’accélérateur sur l’isolation des « passoirs thermiques » et le re-investissement du réseau ferroviaire. On ne peut annoncer la « fin de l’abondance » sans méconnaitre ceux dont le quotidien est fait de pénurie. Elle est aussi importante que l’eau que nous buvons, une société sans solidarité est une société morte. »

« La sobriété fournit une remarquable opportunité », Grégory Doucet, Maire de Lyon

Du côté occidental du monde, depuis plus d’un demi-siècle, la société de consommation a produit une gabegie d’objets et de matière jetable, donnant l’illusion que la nature était un puits sans fond. A la fois pour ce qu’on y prélève et pour ce qu’on y déverse des déchets inutilisables. Cependant, pour qui a une sensibilité écologique, l’absence de soutenabilité d’une tel modèle apparaît criante depuis déjà longtemps. Désormais, suite au renchérissement du coût de l’énergie, la sobriété s’affiche partout. La nouveauté, c’est qu’elle est devenue incontournable pour tous. La réalité de la situation a ainsi installé au premier plan, un paramètre que beaucoup d’industriels et d’entrepreneurs s’étaient habitués à juger secondaire.

De nombreux dirigeants réalisent brusquement que la fin de l’abondance énergétique est arrivée. Alors qu’on aurait pu l’anticiper, en s’y préparant en amont, notre modèle économique libéral se trouve déstabilisé par cette nouvelle donne. Je fais partie de celles et ceux qui ont plaidé sans relâche, année après année, pour la transformation de nos modes de consommation, d’échange et de production, afin que la recherche de bien-être et de prospérité humaine puisse composer avec l’impératif de ne pas épuiser les ressources et le vivant.

Cinquante ans après le rapport Meadows, énonçant les limites à la croissance dans un monde aux ressources finies, notre société est priée d’amorcer une transformation de son modèle économique. Pour cela, la sobriété fournit une remarquable opportunité. En premier lieu, parce qu’elle est l’occasion de donner du sens aux circuits courts, à l’économie circulaire et au réemploi. Il n’est pas juste question de faire porter un effort de transition de façon équitable, mais aussi de généraliser des démarches innovantes d’entreprises du territoire, d’un grand intérêt écologique et social.  

Et puis la situation actuelle nous renvoie aussi à l’essentiel : la valeur du contact humain, des liens, de la solidarité. Pour cela, ma priorité en tant que Maire de Lyon, est d’assurer le renforcement qualitatif du service public. Socialement utile, écologiquement vertueux, il est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Je porte, de ce fait, une politique de « sobriété » et non « d’austérité » avec l’ambition continuelle d’améliorer le « pouvoir de vivre » de mes administrés.

Enfin, la ville a un rôle essentiel pour consolider une économie résiliente. A Lyon, nous soutenons nos artisans et savoir-faire locaux avec la création du label « fabriqué à Lyon » ou par la promotion du label « Lyon Ville Equitable et Durable », pour les entreprises engagées au service de l’environnement et qui s’inscrivent, par exemple, dans le cadre de « l’économie sociale et solidaire ». C’est à Lyon, il y a deux siècles que ce modèle a été inventé. Des associations locales le font vivre depuis. Je souhaite participer au maximum à son extension et à sa diffusion. C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons appuyé, il y a peu, l’installation d’une maison de l’alimentation dans un quartier populaire. Et favorisé l’installation de différentes cantines de quartiers à Lyon.

Entre autres instruments, nous avons activé le levier de la commande publique pour soutenir une économie sobre et vertueuse. Dans la restauration scolaire, nous avons promu une alimentation non seulement saine, variée mais aussi issue d’une agriculture biologique locale et de saison. La baisse de kilomètres parcourus dans les filières d’approvisionnement est un fondamental. Il n’y a pas un domaine, jusqu’aux emprunts financiers de la ville (qui ont écarté les banques climaticides), où les facteurs « sobriété » et « transition écologique » ne soient pas primordiaux.

Finalement, la sobriété pourrait se révéler un prisme par lequel faire advenir une économie de la coopération et de l’intérêt général, vectrice de bénéfices collectifs. Pour cela, il faut parvenir à instaurer une gouvernance collégiale et impliquée, sans laisser personne sur le bord du chemin ni sur le plan social, ni sur le plan citoyen. L’engagement de la Ville de Lyon dans le programme européen « 100 villes climatiquement neutre » résume, d’une certaine manière, cette volonté d’embarquer largement toutes les forces vives, quel que soit le secteur, qui font la ville de Lyon.

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