05/11/2024

Temps de lecture : 5 min

« Nous devons recréer de la biomasse et favoriser la réhabilitation des sols », Adrien Rogissart (Halage)

Sur une friche industrielle de l’Ile Saint-Denis, l’association Halage développe un projet écologique urbain inédit : d’une friche industrielle fortement polluée, elle fait naître un espace de biodiversité exceptionnel où l’insertion voisine avec la recherche. Rencontre avec Adrien Rogissart, président de Halage.

The Good : Qu’est-ce que Lil’Ô et quel est le passé de ce site ?

Adrien Rogissart : C’est un site industriel sur lequel une grosse entreprise de BTP a déversé, durant des années, les gravats et les remblais de ses chantiers. Après le passage des camions, des machines damaient et compactaient le sol au fur et à mesure. A certains endroits, nous avons jusqu’à 18 mètres de déchets.

A l’origine, l’île Saint-Denis (93) était composée de quatre îlots qui ont été réunis, suite aux travaux de Paris sous Haussmann, en un ensemble de 7 km de long. Il comprend un parc départemental et une zone sauvage où nichent de nombreux oiseaux : Lil’Ô. Cette dernière est désormais une zone agricole de 3.6 hectares. En 2018, l’entreprise de BTP l’a donnée au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis qui en a confié la gestion à l’association Halage, dont je dirige les opérations.

The Good : Comment faites-vous pour dépolluer le site ? Avez-vous entrepris d’en ôter tous les déchets ?

Adrien Rogissart : La dépollution est en cours. Notre démarche consiste à accélérer les processus naturels. Car la nature aurait, de toute façon, petit à petit pris possession du site. Mais il faut 150 à 200 ans pour qu’un espace forestier se crée… Pour accélérer les choses, nous devons recréer de la biomasse et favoriser la réhabilitation des sols. Ces sols sont pollués par des métaux lourds, du bitume, des agglomérats et des agrégats divers, des éléments minéraux (silex, ardoise, etc.), du béton armé, etc. Il y a des gaz qui s’échappent des bitumes, il y a par exemple du benzène qui sort du sol, ainsi que de l’eau rouge qui est drainée jusqu’à nos mares d’évacuation car chargée d’oxyde de fer à cause du béton armé. Il y a beaucoup de gravats qui font que c’est une terre inerte. C’est un peu la planète mars !

The Good : Comment procédez-vous pour végétaliser les lieux ?

Adrien Rogissart : Nous travaillons à plusieurs niveaux sur la végétalisation. Pour ce qui est de la culture, car nous cultivons des fleurs et des aromates, nous avons excavé puis remis de la terre développée sur le site, car nous faisons systématiquement dans l’économie circulaire et le réemploi. Avec la terre inerte, nous avons fabriqué une butte qui offre un panorama exceptionnel sur le site. Sur cette butte, nous allons appliquer un traitement végétal, pour y faire naître un cycle végétal. Pour rendre la terre vivante. Nous avons utilisé cette technique à d’autres endroits pour commencer à régénérer le sol sur 50 à 60 cm.

Nous avons commencé à y réintroduire des végétaux. Nous avons créé des bosquets forestiers. Nous avons aussi créé un jardin aromatique, des habitats pour la microfaune et une noue où vient s’écouler l’eau. Cette noue constitue un milieu aquatique accueillant régulièrement de l’humidité qui constitue un îlot de fraîcheur, une recharge des nappes phréatiques et un refuge pour la biodiversité

Nous avons également deux mares. L’une a été aménagée et l’autre est en passe de l’être. Dans cette mare, il y a des populations de grenouilles, d’araignées d’eau qui commencent à se reproduire. Une biodiversité qui prend de plus en plus de place. Une tortue est même arrivée il y a trois mois mais nous n’en connaissons pas le type.

The Good : Et, que ce soit pour la tortue ou les végétaux, est-ce que vous vous assurez d’implanter des espèces endémiques ? Et, qu’en est-il de vos techniques agricoles ?

Adrien Rogissart : Nous n’introduisons, sur le site, que des espèces que nous savons endémiques. En ce qui concerne notre action de végétalisation, soyez assurée que nous n’avons aucun entrant chimique et que nous n’utilisons que des techniques responsables. Nous faisons de la gestion raisonnée mais exploitons les capacités du végétal. Ainsi, et par exemple, nous avons fait appel à notre expert interne de la production florale pour aménager la deuxième mare, car nous voulons y installer des plantes filtrantes, dépolluantes pour faire de la phyto-épuration.

The Good : L’association dont vous dirigez les opérations, Halage, fait de l’insertion, n’est-ce-pas ? Lil’Ô n’est donc pas uniquement un projet environnemental ?

Adrien Rogissart : Halage est une association fondée en 1994, qui est articulée à l’action publique. Une association qui développe des programmes d’insertion longue durée par le travail pour des allocataires du RSA de longue durée, des réfugiés politiques ou d’anciens détenus. Tout ce petit monde est recruté pour travailler sur les espaces verts. Ces chantiers sont encadrés par des intervenants socio-pédagogiques et techniques qui sont chargés de former les stagiaires à la gestion des espaces verts.

Ensemble, nous produisons des fleurs. Nous avons aussi lancé et rendu autonome une entreprise, les Alchimistes, qui fait du compost. Nous avons aussi des activités de formation pour les professionnels, les jeunes décrocheurs (16-25 ans). Ce projet permet également le développement de programmes de recherche sur la restauration des sols pollués et la plantation d’arbres, ou encore sur les nouveaux métiers urbains. Enfin, nous accueillons également le grand public pour le sensibiliser à la question de l’agriculture urbaine et à la transition écologique.

Lil’Ô est un écoparc novateur. On y vient pour faire, apprendre, découvrir. Nous essayons de donner à voir ce que pourrait être la transition écologique en milieu urbain

Ce projet représente beaucoup de travail et d’investissement, tant humain que financier (lire encadré ci-dessous : Association de bienfaiteurs). Sur l’année 2023, nous avons reçu 6500 personnes sur le site ; environ 270 stagiaires. 130 salariés y travaillent chaque année.

Nous avons une convention qui court jusqu’en 2028, mais nous avons déjà ouvert des discussions pour la prolonger jusqu’en 2038.

The Good : Est-ce que vous parvenez à « inoculer le virus » aux stagiaires qui apprennent les espaces verts à vos côtés ?

Adrien Rogissart : Nous avons plein d’exemples de personnes qui sont passées par chez nous et qui travaillent aujourd’hui dans des collectivités, des entreprises et des associations.

Sur la promotion de de juin-juillet 2024, deux jeunes femmes de 16 et 20 ans ont découvert la culture de fleurs et ont voulu intégrer une l’équipe de production. Nous les avons gardées à nos côtés : elles vont apprendre à cultiver des fleurs sur les mois à venir. Nous leur avons inoculé le virus !

The Good : Comment vivez-vous cette aventure extraordinaire : donner vie à la planète Mars ?

Adrien Rogissart : Nous sommes partis d’un espace saccagé, stérilisé…. Transformer la planète Mars en planète Terre est extrêmement intéressant. Lui redonner vie en n’étant pas interventionniste, mais en s’appuyant sur des processus naturels, sur le savoir de nos salariés et sur notre amour des plantes représente une grande fierté pour moi et toutes les équipes.

_______________________________________________________________________________

Association de bienfaiteurs

Lil’Ô a bénéficié pendant deux ans de l’accompagnement de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la Ville de Paris, dans le cadre d’un appel à projet sur le thème de la préservation et du développement de la biodiversité. L’action de l’association Halage est également financée par des fonds publics (fonds européens, Etat, Région, Département, commune de l’Ile Saint-Denis et différentes agences de l’Etat telles ANRU, ADEME) et des financements privés (fondations d’entreprises, fondations caritatives telles Fondation de France et Caritas). « Nous avons aussi une petite part d’autofinancement grâce à la vente de nos fleurs, compositions florales et des produits dérivés telles fleurs séchées ou compositions durables, sur site », explique Adrien Rogissart, président de Halage. Nous produisons 110 000 fleurs par an et les distribuons par le biais d’un réseau de partenaires. »

Allez plus loin avec The Good

The Good Newsletter

LES ABONNEMENTS THE GOOD

LES ÉVÉNEMENTS THE GOOD