Les Universités d’Été de l’Économie de Demain (UEED) ont organisé les 27 et 28 août à la Cité Internationale Universitaire de Paris deux journées de rencontres et tables rondes pour faire avancer le débat citoyen et politique sur la situation environnementale et sociale et insuffler à la rentrée de nouvelles perspectives. Le mot d’ordre de cette troisième édition : pour une relance de l’économie par la transition écologique et sociale. Rencontre avec son co-président Jean Moreau, fondateur de la start-up Phenix.
En phase avec The Good, le collectif #NousSommesDemain – réseau d’ONG et d’entreprises à Impact en France qui représente 3 millions d’emplois et initié par le Mouves – croit en la capacité de l’économie à se conjuguer aux valeurs socio-environnementales qui permettront à nos sociétés de se transformer de manière durable et responsable. En anticipation du plan de relance présenté le 3 septembre, les UEED ont ainsi organisé leur édition autour de 4 thématiques fortes : redynamiser des filières stratégiques en respectant les principes de proximité, de solidarité et de durabilité | construire une fiscalité sociale et écologique | faire de chaque Français.e le fer de lance de l’économie de demain | proposer un plan de transformation européen.
Au sortir de ces émulations, The Good rencontre Jean MOREAU pour faire le point. Co-président du Mouvement des Entrepreneurs Sociaux (Mouves) à l’origine de ces rencontres, il est aussi président de la start-up Phénix, investie dans la lutte contre le gaspillage en Europe. Chef d’entreprise franchement engagé, il nous invite à repenser l’économie au prisme du Good.
The Good : Placée sous le signe de la relance, cette rentrée économique ne manque pas d’enjeux. Par quels moyens concrets un plan de relance peut-il relier la transformation écologique et sociale des entreprises aux objectifs économiques ?
Jean MOREAU : Le plan de relance injecte de manière totalement inédite 100 milliards d’euros dans l’économie, c’est le moment de les utiliser pour accélérer la transition sociale et écologique des entreprises qui vont être aidées. Ce que nous proposons tient donc en deux mots.
Le premier est transparence, et nous proposons que toutes les entreprises aidées affichent leurs résultats sur une quinzaine d’indicateurs clefs pour faire évoluer leurs modèles, pour une répartition de la valeur plus juste, pour une amélioration de leur empreinte carbone, pour des entreprises qui accueillent une plus grande diversité au sein de leurs salariés à tous les niveaux, etc. Nous proposons même de conditionner les aides des réalisations concrètes sur chacun de ces critères sociaux et environnementaux.
Le second est incitation, car il n’est plus possible que la fiscalité – la TVA, et l’impôt sur les sociétés notamment- ne prenne pas en compte l’apport des entreprises à l’intérêt général, qui suppose un investissement en temps et en argent significatif. Nous avons donc des consommateurs qui paient plus cher des produits bio, équitables, écologiques, car ces produits intègrent le coût du bien commun ! Ce serait le minimum qu’un taux de TVA réduit leur soit appliqué.
The Good : À l’heure du Covid-19 où les bourses des entreprises ont les cordons liés, comment convaincre les décideurs de ne pas perdre de vue les intérêts socio-écologiques au profit de leur « seule » survie économique ?
J.M. : En leur faisant comprendre que les deux sont indissociables, qu’on peut être à la fois rentable et responsable ! Bref, que la RSE et le Développement Durable ont tout à gagner à être rapatriés au coeur des modèles économiques, et non plus cantonnés dans des Fondations ou des directions satellites dédiées.
On voyait, avant même la crise de la Covid-19, de nombreux fonds d’investissement sortir certains secteurs polluants de leurs portefeuilles d’actions ; je pense par exemple au charbon. Plus récemment, on a vu Danone devenir la première entreprise cotée en bourse à se doter d’une raison d’être. On voit aussi, depuis l’arrivée d’Alexandre BOMPARD à la tête de Carrefour, de nombreuses communications autour des engagements RSE pris par le groupe, lequel affiche même l’ambition de devenir “le leader de la transition alimentaire”. Or, avec la Covid-19, on a assisté à une accentuation de la consommation responsable, avec une forte croissance du bio, du local et du made in France.
Mais il ne s’agit pas d’un effet de mode : c’est une tendance de fond que la crise est venue accélérer. Elle va se poursuivre. Les entreprises n’ont en fait tout simplement pas le choix : elles doivent s’adapter aux attentes du consommateur, et aux aspirations de talents issus de la jeune génération ; ceux-ci le leur rendront bien. Parce que la transition sociale et écologique est similaire à la transition numérique il y a vingt ans, c’est un enjeu pour la solidité et la durabilité de toutes les structures. Et c’est l’attente aujourd’hui d’une nouvelle génération de consommateurs et de salariés, on le sait.
The Good : Les UEED, c’est aussi et surtout passer du dire au faire. La promesse pour chaque entrepreneur de progresser sur des axes concrets de la transition écologique et sociale des entreprises. Au sortir de cette édition, quelles sont les préconisations concrètes et bonnes pratiques que l’on retient ?
J.M. : Cette dynamique de passage à l’action et cette promesse de grandir collectivement d’un point de vue concret et opérationnel sur ces sujets est un élément décisif de notre mandat à la tête du MOUVES avec Eva SADOUN, en complément des actions de communication et de plaidoyer.
Cet engagement s’est traduit par la présence durant ces deux jours de nombreux entrepreneurs aguerris venus partager leur vécu avec les plus jeunes lors de “MasterClass” inspirantes. Sébastien KOPP de VEJA, Antoine LEMARCHANT de NATURE & DÉCOUVERTES, Carole JUGE de JOONE, Maud SARDA de LABEL EMMAÜS, Nicolas ROHR de FAGUO ou encore Saïd HAMMOUCHE de MOZAÏK RH sont ainsi venus présenter leurs bonnes pratiques sur la mesure de l’impact social, la mise en place d’une politique RH inclusive, ou le changement d’échelle. Ce partage d’expérience et cette preuve par l’exemple s’avèrent essentiels pour faire avancer l’écosystème, et amener nos adhérents à maturité plus rapidement.
The Good : Parmi la foule de participants, quels acteurs ont cette année fait la différence ? Comment ?
J.M. : De mon point de vue la différence majeure entre cette année et la première édition de 2019, c’est la présence d’une bonne partie des décideurs politiques de premier plan, avec pas moins de cinq ministres (Barbara POMPILI, Agnès PANNIER-RUNACHER, Cédric O, Olivia GREGOIRE, Elisabeth MORENO), du Haut-Commissaire à l’Inclusion Thibault GUILLUY, et de parlementaires impliqués sur ces sujets (Roland LESCURE, Dominique POTIER, Manon AUBRY, Emilie CARIOU, Karima DELLI).
Je pense que nous avons d’ores et déjà atteint notre objectif : ancrer ces UEED comme l’autre grand rendez-vous de la rentrée économique, en parallèle de la REF du MEDEF. Objectifs pour l’an prochain : discours d’ouverture par Jean CASTEX, voire le Président de la République, et grand débat avec Bruno LE MAIRE, pour peser sur les débats en vue de la Présidentielle 2022.
The Good : en tant que chef d’entreprise chez Phenix, comment mettez vous en pratique vos engagement RSE ?
J.M. : Nous sommes une start-up à impact. Cela signifie, très simplement, que la raison d’être de notre entreprise est d’avoir un impact positif sur la société. Mon rôle, c’est d’être le garant de cet ADN à trois niveaux : 1°) dans les grandes décisions et orientations stratégiques, 2°) en insufflant et maintenant une culture d’entreprise en adéquation avec cette mission et ces valeurs, mais également au quotidien en interne, dans le fonctionnement courant de la boîte, le choix des prestataires et partenaires. Cela veut dire préférer un fournisseur d’électricité verte, trier et recycler en avançant vers le zéro déchet, se fournir en matériel informatique de seconde main, choisir une banque responsable, avoir une charte télétravail, signer le Parental Act pour allonger le congé paternité, faire l’achat d’un lombricomposteur ou encore équiper notre flotte en véhicules propres. Phenix est, à ce titre, labellisé B-Corp et possède l’agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale).
En l’occurrence, la problématique sociale et environnementale à laquelle nous nous attaquons, c’est celle du gaspillage alimentaire qui, parce qu’elle s’inscrit dans la solidarité, s’attaque à cinq ODD (Objectifs de Développement Durable) définis par l’agenda 2030 de l’ONU : Réduction de la pauvreté (objectif 1), Zéro faim (objectif 2), Réduction des inégalités (Objectif 10), Consommation et production responsables (objectif 12) et Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques (objectif 13).
Notre mission est d’aider les professionnels de l’alimentaire à moins gaspiller. Producteurs, grossistes, industriels, distributeurs et même commerçants de quartier : nous sommes à ce jour le seul acteur de l’anti-gaspi capable d’adresser toute la chaîne de valeur. Avec eux, nous avons sauvé 40 millions de repas de la poubelle rien que sur l’année 2019. En ce moment, nous sauvons quotidiennement 120 000 repas de la poubelle, un chiffre significatif qui constitue une fierté pour notre équipe de 170 Phéniciens engagés !